Prologue
Le soleil était déjà haut dans le ciel. Quelques nuages ventrus et sombres paressaient, comme pour profiter du spectacle à venir. La neige tombait encore. D’épais flocons tourbillonnaient dans la brise légère avant de se fondre dans le tapis laiteux couvrant les collines, ou de venir alourdir les branches des arbres. Au loin, un couple de grues dansait une parade nuptiale. Les oiseaux gracieux se livraient à un délicat ballet de séduction, sans accorder d’intérêt à l’effroyable drame qui se préparait sous leurs ailes…
Sakura Hidenori tapa du talon pour se réchauffer. Les troupes attendaient depuis des heures, dans un froid glacial. Si le daimyo tardait encore à donner l’ordre d’attaquer, il ne disposerait bientôt plus que d’une armée de statues ! Un regard circulaire lui suffit pour jauger la situation : les soldats attendaient, en parfait ordre de bataille. Chaque peloton se tenait au garde-à-vous, les hommes roides en dépit de la température. Les armures brillaient. Les lances, parfaitement affûtées, accrochaient parfois un rayon de soleil. Bien arrimés aux cuirasses, les drapeaux claquaient au-dessus de chaque casque. On pouvait y voir, couleur de sang, le mon du daimyo commandant suprême des troupes.
Pivotant lentement sur lui-même, Sakura Hidenori poursuivit son inspection. La cavalerie attendait elle aussi le signal. Les chevaux, excités par les parfums âcres de la transpiration et des huiles d’entretien des armures, savaient la charge imminente. Ils piaffaient, foulant la neige de leurs redoutables sabots. Le souffle brûlant des bêtes faisait naître des diablotins de vapeur à leurs naseaux. Ainsi libérées, les créatures cotonneuses tourbillonnaient dans le vide avant de s’échapper en lambeaux de brume vers le ciel.
Sakura Hidenori termina son examen de la situation par une étude silencieuse de la vallée. En contrebas des collines où ses troupes avaient pris position, on pouvait admirer le château.
Admirer était le mot juste, tant cette bâtisse était somptueuse. Il fronça les sourcils. Le château n’avait pas été conçu pour la guerre, mais de nombreux samouraïs se tenaient sur ses remparts. Ils considéraient avec calme les collines alentour. Sans doute devaient-ils évaluer les forces en présence ?
Il s’imagina une seconde à leurs côtés. La puissance des assaillants ne faisait aucun doute. Les samouraïs ne se berçaient pas d’illusion, ils savaient la bataille perdue et se préparaient à mourir avec dignité et honneur. Leurs chefs devaient déambuler parmi eux, en cet instant. Les officiers haranguaient probablement leurs hommes, récitant d’une voix sourde les préceptes du bushido, que nul ne devait oublier à l’approche du combat.
Sakura Hidenori caressa la tsuka de son katana. Il eut le sentiment furtif que l’arme vibrait d’excitation dans son fourreau. Réprimant un sourire, il laissa retomber son bras. Un samouraï conservait son calme avant la mêlée. Les paysans, la piétaille s’excitaient. Certains pissaient sous eux comme des animaux terrorisés… Mais un samouraï, quel que soit le danger, gardait une vision juste de la situation. Il acceptait son destin, dans la victoire comme dans la défaite. Chaque jour, chaque heure, il s’était préparé à offrir sa vie à son daimyo. Il n’attendait que le moment et le lieu pour prouver à tous sa détermination et réaliser ce pourquoi il était né. Cet instant précis où il achèverait sa trajectoire de guerrier…
Extraits
Commenter ce livre