… Il réfléchit et dit : En somme, je préfère les histoires qui traitent du dépouillement.
– Du quoi ? dis-je en me penchant en avant.
– Du dépouillement. Je suis extrêmement intéressé par le dépouillement.
J.D. Salinger
Ouragan, ouragan, comme je te sens venir.
José Maria Heredia
Automne 1989
– Viens ici… ! hurla-t-il enfin en direction d’un ciel qui lui sembla langoureux et paisible, peint encore des couleurs de la trompeuse palette bleue du mois d’octobre : il hurla les bras en croix, la poitrine nue, expulsant sa réclamation désespérée de toute la force de ses poumons, pour que sa voix porte et aussi pour vérifier que sa voix existait encore, après trois jours sans un seul mot. Sa gorge, écorchée par les cigarettes et l’excès d’alcool, sentit enfin le soulagement de la renaissance, et son esprit savoura ce minuscule acte libertaire, capable de provoquer une effervescence intérieure qui manqua de lui faire pousser un second cri.
Depuis son toit, Mario Conde avait scruté le firmament nettoyé de vent et de nuages, comme la vigie d’un navire égaré, avec l’espoir malsain que du haut de son élévation il pourrait enfin voir, dans le dernier pli de l’horizon, cette agressive croix de Saint-André dont il avait suivi plusieurs jours durant le trajet sur les cartes météorologiques, tandis qu’elle se rapprochait du destin qui lui était assigné : la ville, le quartier et ce toit même d’où il l’appelait.
Au commencement, cela n’avait été qu’une entaille lointaine, une chose sans nom tout en bas de l’échelle des dépressions tropicales, qui s’éloignait des côtes africaines en entraînant des nuages chauds dans sa danse macabre ; deux jours plus tard, elle accédait à la catégorie inquiétante de perturbation cyclonique, et était déjà une flèche empoisonnée au milieu de l’Atlantique, la proue dirigée vers la mer des Caraïbes, s’étant gagné par la force le droit à un nom de baptême : Félix ; et voilà que la nuit dernière, gonflé jusqu’à s’être transformé en ouragan, Félix était apparu comme un tourbillon grotesquement incliné au-dessus de l’archipel de la Guadeloupe, fouetté par cette dévastatrice étreinte éolienne de deux cents kilomètres à l’heure, qui avançait prête à déraciner arbres et maisons, à bouleverser le cours historique des rivières et les altitudes millénaires des montagnes, à tuer des animaux et des personnes, comme une malédiction descendue d’un ciel, pourtant toujours langoureux et calme, comme une femme se préparant à l’adultère.
Mais Mario Conde savait qu’aucun de ces accidents et artifices n’altèreraient son destin et sa mission : depuis qu’il l’avait vu naître sur les cartes, il avait ressenti une étrange affinité avec ce monstrueux rejeton d’ouragan : ce salopard va venir ici, se dit-il tandis qu’il le voyait avancer et croître, parce que quelque chose dans l’atmosphère extérieure ou dans sa propre dépression intérieure – chargée de sirius, de nimbus, de stratus et de cumulus zébrés d’éclairs, mais incapables pourtant de se transformer en ouragan – l’avait averti des intentions et des besoins véritables de cette masse de pluies et de vents en folie que le destin comique avait créée dans le but évident de traverser précisément cette ville pour y effectuer une purification attendue et nécessaire.
Extraits
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