#Roman francophone

L'Enfant de Calabre

Catherine Locandro

Lorsqu'elle pousse la porte de l'agence de détectives privés Azur Enquêtes, Frédérique a en main une photographie, celle de son père Vittorio, ancien combattant d'Indochine, en compagnie d'une inconnue. A Nice, ville de son enfance, elle espère retrouver la trace de cette femme blonde au teint pâle et au sourire timide. Mais à trente-neuf ans, ce qu'elle souhaite bien plus encore, c'est découvrir enfin qui était ce légionnaire taiseux. Quitte à reconstruire son roman familial. Dans un labyrinthe de souvenirs - de Diên Biên Phu à Cittanova -, de voyages en rencontres, Frédérique convoque ses aïeuls et entrecroise trois générations marquées par la douleur et l'injustice. Entre revenants et fantômes, parviendra-t-elle à démêler sa propre histoire, enchevêtrée telles les rues de Gênes, jusqu'à son issue inattendue ? Un texte incisif et poignant, comme un coup de couteau dans le rideau qui masque les secrets et conjure le sort.

Par Catherine Locandro
Chez Editions Héloïse d'Ormesson

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Genre

Littérature française

A mes parents.

 

La famille : une sorte de destin auquel il est impossible d'échapper.

Luchino Visconti

Quand on écrit, la réalité des choses ne se transmet pas, mais se construit. C'est la que naît le sens.

Haruki Murakami

 

Le convoi funèbre a descendu la Via Roma jusqu'au cimetière. Un long chemin de terre, chaotique et crasseux. Le convoi, c'était une charrette tirée par un cheval, avec ton cercueil posé dessus. Deux de tes fils suivaient en marchant. Le plus jeune, et le deuxième. L'aîné n 'était pas là, ton mari non plus, ni aucune autre personne de ta famille ou du village. Sur ton passage, les fenêtres et les portes se fer­maient les unes après les autres, dans un synchronisme parfait. Ceux qui t'avaient bannie lorsque tu étais en vie détournaient aussi le regard de cette boîte bon marché qui contenait ton corps.

Au cimetière, ton cercueil a été enseveli sous la terre anonyme de la fosse commune. Quelques mots d'un prêtre ont peut-être précédé cette ultime punition, ce reniement absolu de ce que tu avais pu être, de ton existence tout entière.

Le soir de ton enterrement, ton benjamin, qui avait huit ans, s'est enfui de la, maison de ses grands-parents paternels pour venir s'en­dormir devant les grilles du cimetière. Le gardien l'a trouvé le lende­main matin, couché sur le sol, le visage bouffi de larmes et barbouillé de terre. La même chose s'est produite la nuit suivante, et encore la nuit d'après, jusqu'à ce que le grand-père de l'enfant paie le gardien pour qu'il le chasse à coups de bâton. Ton fils n'est plus revenu.

 

C'est l'une des premières choses que l'on m'ait apprise sur toi. Cet enterrement. Cette manière de t'effacer du monde des vivants, comme de celui des morts.

Je n'ai pas une vision linéaire, chronologique, de ce qu'a été ta vie. Le peu que j'en sais m'est arrivé par bribes désordonnées, tout au long de mon enfance. Ensuite, il y a eu des redites... Les mêmes récits de violence et d'abandon qui finissaient toujours par se heurter au mur de ton mystère, comme des phrases laissées en suspens.

Ce mystère, et ta longue déchéance aux allures d'agonie, ont fait de nous ce que nous sommes. Tout comme cette Via Roma que nous n'avons pas fini de descendre. Nous marchons hâtivement, avec cet air absent qui tient à distance et au ventre, intimement mêlées, la, peur et l'envie de disparaître.

Ton enterrement a eu lieu le 2 août 1937à Cittanova, une ville du sud de la Calabre. Tu avais trente-neuf ans.

 

Diên Biên Phu. 17 février 1954.

 

La jeune fille lui racontait des choses anodines. Sa vie de tous les jours. Mais elle le faisait avec application, n'omet­tant rien de ses longues heures de travail à la filature de coton, ou de ses sorties du samedi après-midi, lorsqu'elle retrouvait ses amies de l'usine auCaffî Mulassano, sous les arcades de la Piazza Castello.

Elle s'appelait Lidia et avait dix-neuf ans. Sa lettre, cinq feuilles rose pâle recouvertes d'une écriture régulière, détaillait au fil de lignes droites et sans ratures les gestes simples d'une exis­tence ordinaire. Il avait le sentiment de lire une langue étrangère. Les mots résonnaient dans sa tête, il en murmurait certains, comme pour mieux les comprendre, mais ils demeuraient des sons vidés de leur sens. Ce qu'ils dépeignaient appartenait à un monde qui n'était plus sien. Lui vivait comme un insecte, sous terre, dans des alvéoles qui menaçaient à chaque tir d'obus de s'effondrer pour l'ensevelir. Une termitière à échelle humaine cernée de collines sombres.

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17/01/2013 263 pages 18,00 €
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