#Essais

L'enfant et la vie familiale sous l'Ancien Régime

Philippe Ariès

"A ce procès de la famille, ou pour être plus exact, à l'enquête que notre temps poursuit sur la famille et l'enfance, le livre de Philippe Ariès apporte une contribution capitale".

Par Philippe Ariès
Chez Points

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Editeur

Points

Genre

Histoire de France

 

 

 

 

Préface

 

 

On dit que l’arbre cache la forêt, mais le temps merveilleux de la recherche reste celui où l’historien commence juste à imaginer la vue d’ensemble, quand la brume n’a pas fini de se déchirer qui voile les horizons lointains, tant qu’il n’a pas pris trop de distance avec le détail des documents bruts, et que ceux-ci conservent encore toute leur fraîcheur. Son meilleur mérite est peut-être moins de défendre une thèse que de communiquer aux lecteurs la joie de sa découverte, de les rendre sensibles, comme il l’a été lui-même, aux couleurs et aux senteurs des choses inconnues. Mais il a aussi l’ambition d’organiser tous ces détails concrets en une structure abstraite, et il a toujours du mal (heureusement !) à se dégager du fouillis des impressions qui l’ont sollicité dans sa quête aventureuse, il reste malhabile à les plier tout de suite à l’algèbre pourtant nécessaire d’une théorie. Longtemps après, au moment de la réédition, le temps a passé emportant avec lui l’émotion de ce premier contact, mais apportant en revanche une compensation : on voit mieux la forêt. Aujourd’hui, à la suite des débats contemporains sur l’enfant, la famille, la jeunesse, et de l’usage qui a été fait de mon livre, je vois mieux, c’est-à-dire de manière plus tranchée et plus simplifiée, les thèses que m’a inspirées un long dialogue avec les choses.

Je les résumerai ici, en les ramenant à deux.

 

La première concerne d’abord notre vieille société traditionnelle. J’ai soutenu que celle-ci se représentait mal l’enfant, et encore plus mal l’adolescent. La durée de l’enfance était réduite à sa période la plus fragile, quand le petit d’homme ne parvenait pas à se suffire ; l’enfant alors, à peine physiquement débrouillé, était au plus tôt mêlé aux adultes, partageait leurs travaux et leurs jeux. De très petit enfant, il devenait tout de suite un homme jeune, sans passer par les étapes de la jeunesse, qui étaient peut-être pratiquées avant le Moyen Age et qui sont devenues des aspects essentiels des sociétés évoluées d’aujourd’hui.

La transmission des valeurs et des savoirs, et plus généralement la socialisation de l’enfant, n’étaient donc pas assurées par la famille, ni contrôlées par elle. L’enfant s’éloignait vite de ses parents, et on peut dire que, pendant des siècles, l’éducation a été assurée par l’apprentissage grâce à la coexistence de l’enfant ou du jeune homme et des adultes. Il apprenait les choses qu’il fallait savoir en aidant les adultes à les faire.

Le passage de l’enfant dans la famille et dans la société était trop bref et trop insignifiant pour qu’il ait eu le temps et une raison de forcer la mémoire et de toucher la sensibilité.

Cependant, un sentiment superficiel de l’enfant — que j’ai appelé le « mignotage » — était réservé aux toutes premières années, quand l’enfant était une petite chose drôle. On s’amusait avec lui comme avec un animal, un petit singe impudique. S’il mourait alors, comme cela arrivait souvent, quelques-uns pouvaient s’en désoler, mais la règle générale était qu’on n’y prît pas trop garde, un autre le remplacerait bientôt. Il ne sortait pas d’une sorte d’anonymat.

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09/05/2014 316 pages 8,80 €
Scannez le code barre 9782757841723
9782757841723
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