L'Exception qui confirme la règle

Axel Polglace

Côté pile : une agréable promenade matinale dans un bois connu. Côté face : une découverte qui laisse même le chien sous le choc. Qui pour faire la lumière sur cette affaire aux multiples victimes et coupables insoupçonnés ? L'inspecteur Couest n'est-il pas trop désinvolte ? Comment interpréter les propos ambigus du principal suspect ? "A qui le tour ? "

Par Axel Polglace
Chez Les Editions du Net

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Genre

Littérature française

Chapitre I

L’hiver avait pris ses quartiers. Cette partie du paysage était figée par le frimas. Un vrai tableau. Point besoin d’aller tâter le lac. Il était parfaitement gelé. Les quelques bancs qui l’entouraient demeuraient déserts. Qui pouvait bien sortir par ce temps ? Il fallait vraiment le vouloir, ou y être obligé. Lui promenait son chien, ce qu’il ne considérait en rien comme une obligation. Il aimait à baguenauder en pleine nature et n’avait nul besoin de compagnie humaine. Un chien suffisait. Il s’était éloigné du lac maintenant. La vue bien dégagée désormais offrait un large panorama. Hormis les traces de pattes de son compagnon devant lui, la neige était immaculée. Il n’y avait rien de plus beau.
Le chien revenait. Il sut tout de suite que quelque chose n’allait pas. Il marchait la tête basse, la queue rentrée, l’allure incertaine. Il titubait presque. Arrivé à sa hauteur, l’animal le regarda avec des yeux larmoyants qui lui rappelèrent pourquoi pour lui son chien était plus qu’une simple bête. Fox tremblait de tous ses membres. Il émit un son de douleur si profond que Bernt sentit immédiatement une fissure envahir sa cage thoracique. Elle se prolongeait de bas en haut. Il déglutit péniblement. Il se sentait comme étranglé.
Bernt n’avait encore rien vu. Il ne savait pas et pourtant ses tréfonds savaient déjà. Le chien s’éloigna vivement. Il ne prit pas le temps de l’appeler. Le besoin de comprendre le poussait en avant. Il marcha encore environ quatre mètres et après le tournant, son sang ne fit qu’un tour. Bernt ne distinguait pas encore bien ce que c’était, mais percevait déjà que ce n’était pas normal. Il possédait assez de discernement pour évaluer le sérieux de la situation. C’était une dizaine de mètres plus loin. N’osant encore approcher, il allongea le cou tout en fronçant les sourcils. Il fit un pas, légèrement accroupi. Il avait conscience de serrer trop son fusil.
Bernt devait aller voir. Exécutant quelques pas supplémentaires, il fut saisi par le bruit de la neige s’écrasant sous son poids. Il n’aimait pas ça. Cela l’empêchait de se concentrer sur l’environnement alentour. Il s’arrêta un instant et écouta. Rien. Il connaissait ces bois. On y percevait toujours un bruit quelconque. Le vent. Un oiseau quémandant des graines. Le balancement d’un arbre. Un gland tombé d’une branche ou un écureuil affairé. Aujourd’hui, rien. Toute forme de vie avait disparu. La neige crissante lui faisait peur, autant que ce silence.
Il allongea le pas, car la neige plus profonde ralentissait sa progression. Plus il approchait, plus son cœur cognait fort dans sa poitrine. Il expira et inspira rapidement dans la foulée. Il fallait qu’il se calme. Bernt émit un grognement : le froid lui piquait les narines. Il se trouvait à deux mètres maintenant. Suffisamment près pour bien distinguer le tableau qui s’offrait ou plutôt qui s’imposait à lui, mais la stupéfaction l’emporta. Il se rapprocha encore. Désormais, c’était juste sous son nez et ce qu’il voyait n’avait rien d’irréel. Il s’y connaissait.
C’était une femme. Elle avait été suspendue à un arbre. Tête en bas, les jambes écartées, dans chaque pied un crochet. Sa peau avait été arrachée, comme un animal. En tout cas, en partie celle du corps. L’enveloppe du visage demeurait intacte. Un tueur charitable qui voulait épargner du travail à la Criminelle.
Bernt poussa un cri. Recula vivement et tomba. Obnubilé par ce qu’il regardait, il ne pouvait se relever, mais ne supportait pas l’idée de rester près… de cette chose et donc il faisait machine arrière le plus vite possible, postérieur dans la neige. Il se releva enfin, haletant, ne sachant si cela était dû à cet exercice digne d’un militaire, ou à cette frousse. Cette frayeur ? Non. Dans ce cas, il s’agissait plutôt de terreur.
Chapitre II
« Ah ! qu’est-ce qu’on est bien… »
Il était posé sur sa grande serviette, face à la mer, un chapeau de paille vissé sur la tête et une bière bien fraîche en guise de compagne. C’était ça le bonheur.
« Bien tranquille. »
Il observa les plagistes : on s’amusait autant dans l’eau que sur le sable. Debout sur des matelas gonflables, des adolescents reproduisaient des joutes nautiques, non sans avoir enduit leur barque de plastique d’une substance glissante. Plus fun. Beaucoup plus loin, là où la mer se voulait houleuse, des surfeurs infatigables prenaient des vagues. Dans les airs, des parachutistes amorçaient leur descente afin de rejoindre leur base. Plus proche de lui sur le sable, de jeunes enfants en apprentis bâtisseurs. Les châteaux de sable ne seraient jamais démodés. À sa gauche, un groupe de quinze personnes. Ça draguait sec. La vie normale et simple.
L’homme soupira d’un plaisir évident et après une bonne rasade de liquide, attrapa machinalement la revue qui dépassait de son sac. Il ne l’avait pas choisie, car il ne l’avait pas achetée. « À quoi bon acheter des trucs qui sont déjà en circulation ? » Lui se servait tout naturellement dans le stock des salles d’attente et d’ailleurs rapportait toujours ses emprunts, même si certains étaient plus longs que d’autres. « Franchement, ça gênait qui ? » Il se souvenait que la salle d’attente était bondée ce jour-là et il dut opérer en mode furtif juste avant son tour, profitant de l’entrée d’un père flanqué de triplés survoltés. La diversion parfaite. Il tendit la main, attrapa quelque chose, le roula et hop dans le sac ! « Ni vu, ni connu ; pas vu, pas pris. » Des années de pratique.
Il déroula la revue. L’impression au premier regard n’avait rien d’engageant : des couleurs sombres, et les personnes représentées avaient un bandeau noir sur les yeux afin de protéger leur anonymat. Il avait chopé un truc sur les faits divers. Dire que le hasard était censé bien faire les choses… « Faits divers, MAIS toujours similaires. » « C’est comme les contrôles : aléatoires, MAIS toujours au faciès. » Une constante qu’il trouvait pour le moins dégoûtante. Il s’interrogeait sur le plaisir que les gens qui achetaient ce genre de revue pouvaient en tirer. C’était toujours pareil : des histoires abominables. Enfants maltraités, femmes abusées, assassinat incompréhensible qui sentait l’énigme insoluble. « La misère c’est comme le mystère, ça fait vendre », conclut-il.
Survolant malgré lui un entrefilet ou deux avec une mine écœurée, il se disait qu’il n’y avait rien de pire. Si cela arrivait, il espérait qu’il ne serait déjà plus de ce monde. Il n’avait pas eu la main heureuse sur ce coup-là et devrait se montrer plus vigilant dans la prochaine salle d’attente. Rien à lire donc, et par sa faute. Cependant son air penaud n’eut pas le temps de s’installer durablement. Au loin, Chouchou approchait. C’est ainsi qu’on surnommait le vendeur de la plage. Un enfant du pays aux cheveux fournis et bruns. Plutôt mince. Le teint hâlé. Toujours de bonne humeur, maîtrisant parfaitement les rudiments des langues étrangères nécessaires à son activité, et sans accent ! s’il vous plaît. Aux petits soins, pour lui chaque client était particulier. Il servait donc le dernier d’entre eux avec le même entrain et le même sérieux que le premier de la journée. Normal quoi.
Chouchou se montrait serviable, ce qui rimait avec indispensable. De plus, il savait anticiper les besoins de ses clients. Ainsi, il se chargeait toujours de quelques exemplaires de l’édition du jour, mais invariablement chez trois journaux différents. Le client devait avoir le choix. C’était la clé du succès.
– Hangus, mon ami ! lança-t-il joyeux en approchant.
– Salut Chouchou ! comment vont les affaires ?
Cela revenait à prendre des nouvelles du jeune homme, car si son commerce se portait bien, il en allait de même pour lui.
– Ça va… Plutôt bien même, quand les gens sont stressés ils bouffent plus.
– Stressés ?! Ils sont à la plage !
Chouchou lui lança un regard un peu étonné.
– Tu dois pas être au courant…
Il baissa la tête avec la mine désolée de celui qui était contraint d’annoncer une mauvaise nouvelle. Il fit craquer deux de ses doigts avant de reprendre, presque pour lui-même.
– C’est moche pour elle, mais les gens se gavent de sucreries quand ils sont à cran… et qu’ils flippent surtout.
Il rajouta sur un ton d’excuse.
– Du coup, c’est bon pour moi…
Ne pouvant plus s’étaler sur le sujet, et son interlocuteur manifestant des signes d’incompréhension autant que d’impatience, il tira un journal dans l’une des trois piles bien distinctes et le lui tendit. Hangus ne posa aucune question. Si c’était aussi « moche » que l’avait dit Chouchou, ce serait forcément en première page. Il déplia le quotidien en faisant claquer le papier d’un coup, avide de lecture et de connaissance. Il s’assit sur le sable plutôt que la serviette, visiblement déjà perturbé et se plongea dans l’analyse. Chouchou se dandina, regarda en direction de ses futurs clients, puis s’éclaircit légèrement la gorge.
– Tu veux quelque chose Hangus ?
– Bon Dieu de merde ! Oui, je vais en avoir besoin !
Cependant, il ne donna aucune indication au jeune vendeur. Chouchou prit les choses en main.
– Je vais te faire de bons gros churros avec le chocolat fondu et le fromage. Et je te mets un grand piña colada avec une rasade d’alcool supplémentaire. Tu en auras besoin…
L’autre absorbé, ne répondit pas.
– Hangus ?
– Mmmm, fit-il avec un signe de tête, mais Chouchou savait qu’il n’avait rien écouté. Il prit la direction des opérations, ce qui n’était pas pour lui déplaire. Il prépara la commande en silence et quelques minutes plus tard, histoire de le sortir de sa lecture, il parla avec force.
– Hangus ! C’est prêt !
Il mit la boisson alcoolisée sous son nez, universel réconfort. L’autre leva de grands yeux avec la bouche ouverte, encore sous le coup de la une. Il arracha plus qu’il ne prit la boisson des mains du jeune homme, avide comme un apnéiste inconscient qui manque d’air. Il aspira vivement et récupéra son grand cornet de churros, montrant la même détermination. Le commerçant ambulant remballait. Il donna à son client quelque chose enveloppé dans du papier blanc. On voyait de rares traces de gras sur l’emballage.
– Je t’ai mis un bonus. Tu régleras plus tard.
– Ouais, merci beaucoup Chouchou. Suis pas en train de cauchemarder, je suis pas bourré…
– Non mon pote. T’as bien lu : « Suspendue comme un animal. »

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10/10/2019 13,00 €
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