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L'homme troué. Poèmes

Alain Gheerbrant

L'homme Troué. Alain Gheerbrant est né en 1920. Tour à tour éditeur, explorateur, ethnologue, cinéaste, essayiste et mémorialiste, cet homme qui a eu mille vies n'avoue qu'une vraie fidélité : celle qu'il voue encore à la poésie. Depuis son premier recueil, L'Homme ouvert, paru en 1945, jusqu'au dernier texte de la présente anthologie, écrit voici peu, toute sa vie a été une expression poétique. Oscillant entre l'étoile bleue de Hans Arp et le soleil noir d'Antonin Artaud, que tous deux il a publiés après guerre aux éditions K, il n'a cessé d'emprunter des chemins de traverse. Ses nombreux livres en attestent : Orénoque Amazone, paru en 1952, et le Dictionnaire des Symboles, dont la première édition date de 1969, sont parmi les plus célèbres. Le présent recueil est à vrai dire comme la face cachée, ludique et poétique, de La Transversale, ses mémoires publiés en 1995. C'est bien le malicieux pied de nez d'un fugueur, qui toujours a résisté à la tentation de se construire son propre piédestal, que de cacher derrière les poèmes qui ont jalonné sa vie la richesse de son itinéraire.

Par Alain Gheerbrant
Chez Sabine Wespieser Editeur

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Genre

Poésie

Chaque soir que le soleil fond que les métaux se noient que les veines du marbre tarissent que les statues se couchent que les glaces du pôle ayant pris leur oiseau

Chaque soir qu’il n’y a plus d’église ni d’arbre ni de ciel pour l’eau

Chaque soir la pénombre dévêt un enfant d’homme et l’habille de terre

Alors il redevient dans son étui conforme

Vide dont l’image est un enfant de chair

Rien de la pénombre
Demeure. 

 

Assis sur l’herbe de la rive l’homme ouvert contemplait le centre des eaux planes lorsqu’une goutte du ciel connut leur calme exact. 

L’homme ouvert pleura toute la nuit et au matin réso- lut d’être sphérique. Et il prit une hache et abattit les murs de sa maison. Et, ayant suspendu, à la branche d’un arbre, son chien jusqu’à ce qu’il soit bien sec, il le coupa en morceaux menus dont le feu eut rapidement raison. Alors il souffla sur les cendres et le chien commença d’aboyer à ses oreilles. 

Il se jeta donc lui-même dans le feu et put enfin connaître. 

 

Mon père le capitaine avait de longues bottes rouges et des moustaches dures. De son silence impénétrable les choses et les êtres dont j’étais recevaient chaque jour leurs consignes. Des cercles et des pointes éclatantes tintaient parfois à ses parements d’or et nous savions alors que c’était jour de fête. Parfois aussi une bouche humide le happait et les serpents de bise s’astreignaient à contenir la brume jusqu’au retour de ses poignets unis. 

Ma mère aux douces mains creuses ployée sur le sol la bouche pleine de choses murmurantes transportait ten- drement de l’eau toujours. Un poisson s’isolait parfois au bord de sa paupière pour l’imiter d’un geste gauche ou bien renversant son visage elle tournait sur elle-même d’un mouvement uniforme. J’épiais alors le profil de cette eau qui s’élevant en une double colonne rapide démas- quait la périphérie rose de ses paumes. Une cravache sifflait et tout rentrait dans l’ordre. 

Certains soirs où la chaleur avait raison de mes devoirs je quittais la maison et rampais sur le sable si bien mêlé à l’haleine du quartz qu’insectes et paysans venaient se battre sur mon corps.

Je connus par cette vie de famille le sens du Bien du Beau et de l’Utile. Et puis le fourgon noir survint et ma mère partit la première. Elle s’éleva toute raide balançant ses pieds inutiles la gorge bâillant par la force d’un croc d’acier et sa jupe brisée retomba sur la terre comme une neige sombre. Mon père partit à reculons la tête haute élevant de sa main gauche une pomme de cuivre aux éclats inchangeants.

Je découvris alors la flaque livide de l’aube où flottait une algue mon nouvel habit. 

 

 

L’enfant tomba malade un vendredi, jour maigre. Alors sa mère suspendit à son chevet trois images de saints, un sachet de toile fine contenant du sel et deux rameaux fanés. Et l’enfant baigné de prière transpira si abondam- ment qu’une multitude de poissons zébrés envahirent sa chambre et lui racontèrent tant d’histoires que la mort ne put le distraire. Alors elle se vengea sur sa mère qui s’était assoupie après des heures de veille et d’inquiétude, car elle était trop âgée pour comprendre le langage des poissons. Et l’enfant délivré du mal fit cuire les poissons dans cette eau parfumée de laurier et bien salée et les mangea. Puis il partit pour le monde enseigner ce qu’il savait. 

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05/01/2010 139 pages 15,20 €
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