PREMIÈRE PARTIE
ROME
1
VIX
Quand j’avais treize ans, un astrologue m’a prédit qu’un jour je commanderais une légion et que mes soldats m’appelleraient « Vercingétorix le Rouge ». Les astrologues sont habituellement des crétins, mais ce drôle de petit bonhomme avait raison sur toute la ligne. On m’a donné le surnom et la légion aussi, même si ça a pris plus de temps qu’il n’aurait fallu. Mais pourquoi cet astrologue ne m’a-t-il rien dit de ce qui avait vraiment de l’importance ? Pourquoi ne m’a-t-il pas dit qu’on pouvait aimer un empereur, mais qu’une impératrice devait toujours être crainte ? Qu’on me demanderait un jour de tuer le meilleur ami que j’aie jamais eu, et que cet ordre me serait donné par l’homme le plus haïssable que j’aie jamais connu ? Et, par l’enfer ! pourquoi ne m’a-t-il rien dit de la fille au voile bleu que j’ai rencontrée le jour même où il m’a fait toutes ces prédictions ?
Cette petite peste. À l’époque, je ne me suis pas méfié. Nous étions tous deux des enfants, moi un jeune esclave maigrichon, elle une jolie fille couverte de bleus (je ne vais pas vous raconter pourquoi) et d’un voile plus bleu encore. La première fille que j’aie embrassée de ma vie, et c’était très doux. C’est sans doute pour ça que je me suis laissé faire quand je l’ai retrouvée, des années plus tard. Puisque cet astrologue était si fort, il aurait pu m’avertir, non ? « Attention à la fille en bleu. » Qu’est-ce que ça lui aurait coûté ? Elle, en tout cas, je peux vous dire qu’elle m’en a coûté, au fil du temps.
Mais commençons par le commencement. Je m’appelle Vercingétorix – « Vix » pour mes amis, « le Rouge » pour mes soldats, et « ce sale bâtard de plébéien » pour mes ennemis. J’ai servi quatre empereurs. J’ai tué le premier, aimé le deuxième, le troisième a été mon ami, et le quatrième, j’aurais peut-être dû le tuer aussi. Je m’appelle Vercingétorix et j’ai une histoire à vous raconter.
PRINTEMPSDE L’AN 102 AP.J.-C.
Je ne vais pas vous ennuyer avec mes débuts, qui ne sont d’ailleurs pas très glorieux. Ma mère était une esclave, mon père un gladiateur. On ne peut pas descendre beaucoup plus bas que ça. Si vous suivez les jeux au Grand Amphithéâtre, vous avez entendu parler de mon père, je vous l’assure, mais je ne vous dirai pas son nom. Tout le monde le croit mort et il préfère qu’il en soit ainsi. Il vit maintenant sur une montagne, tout au nord de la Bretagne, où il torture un bout de terrain qu’il appelle son « jardin », et il est heureux. Ma mère aussi est heureuse, elle chante en travaillant et produit des bébés pour remplir la villa qu’une impératrice lui a offerte en remerciement (ne me demandez pas de quoi). Mais moi, quand j’ai eu dix-huit ans après en avoir passé cinq en Bretagne, j’ai commencé à m’ennuyer. C’était mieux que là où nous étions avant, mais je m’étais habitué à l’agitation, et une maison remplie de bébés au sommet d’une colline, ça ne m’emballait pas tellement. De plus, l’un de nos voisins avait une fille qui s’intéressait à moi, et j’étais d’accord pour m’amuser avec elle de temps en temps derrière la grange, mais pas pour me marier. Or, je ne donnais pas cher de mes chances si jamais mon père décidait que je devaisl’épouser. À dix-huit ans, j’étais très grand, mais mon père l’était encore plus, et j’avais beau être habile au maniement des armes, je n’aurais pas tenu le coup devant lui. Alors, j’ai préféré retourner à Rome, là où tout se passe. Malgré ses doutes, mon père m’a donné une amulette pour me garder du danger, et une bourse pour m’éviter de mourir de faim. Quant à ma mère, elle pleurait, mais ce devait être à cause du nouveau bébé dans son ventre.
Extraits
Commenter ce livre