#Roman francophone

Le quintet de l'Islam Tome 3 : L'ombre des grenadiers

Tariq Ali

L'ombre des grenadiers. En cette fin d'année 1499, l'Archevêque de Grenade, confesseur de la Reine Isabelle, vient d'ordonner la destruction de tous les ouvrages de la ville écrits en langue arabe. Cet autodafé sonne la fin de la glorieuse civilisation d'al-Andalus, qui a brillé pendant sept siècles sur la péninsule ibérique. Chez les al-Hudayl, très ancienne famille dont le domaine est implanté à quelques lieues de la ville, on s'interroge face à la radicalisation des Chrétiens : faut-il accepter d'abjurer sa foi pour sauver ses biens et peut-être sa vie, comme s'y sont résolus le propre oncle du chef de clan, devenu prélat, et un de ses cousins, négociant à Grenade ? Faut-il fuir de l'autre côté de la Méditerranée ? Ou alors organiser la résistance qu'appelle de ses voeux le jeune et fougueux Zuhayr, convaincu que la marche de l'histoire n'est pas irréversible ? Tariq Ali excelle à camper les détails du quotidien de ces aristocrates libéraux à un moment où leur monde, tout de raffinement et de tranquille certitude, bascule. Mais si, avec sa verve coutumière, il donne vie et chair aux intrigues amoureuses, aux unions clandestines voire incestueuses, et aux secrètes rivalités, le romancier livre aussi une subtile réflexion sur les germes du déclin de la culture arabe en Andalousie. Car tel est le projet de son Quintet de l'islam, dont ce roman est le troisième volet : confronter, au fil des siècles et à différentes périodes, les mondes chrétien et musulman. Déjà parus : Un sultan à Palerme (2007), évocation de la Sicile cosmopolite du XIIe siècle, et Le Livre de Saladin (2008), récit de la reconquête de Jérusalem par Salah al-Din.

Par Tariq Ali
Chez Sabine Wespieser Editeur

0 Réactions |

Genre

Romans historiques

I

- Si les choses continuent ainsi, disait Ama, d’une voix qui chuintait dans sa bouche édentée, il ne restera de nous qu’un souvenir parfumé.

Dérangé dans sa réflexion, Yazid fronça les sourcils et leva les yeux de l’échiquier d’étoffe. À une extrémité du patio, il était plongé dans une tentative désespérée de pénétrer les arcanes du jeu d’échecs. Ses sœurs, Hind et Kulthum, elles, étaient des stratèges accomplis. Elles étaient parties avec le reste de la famille à Gharnata. À leur retour, Yazid allait les étonner en proposant une ouverture peu orthodoxe.

Il avait bien tenté d’intéresser Ama au jeu, mais la vieille lui avait ri au nez en refusant l’invitation. Yazid n’arrivait pas à comprendre son refus. Ne valait-il pas mieux jouer aux échecs que passer son temps à égrener son chapelet ? Pourquoi cette évidence lui échappait-elle ?

À contrecœur, il commença à ranger les pièces. « Elles sont vraiment merveilleuses », pensa-t-il, en les replaçant dans leur niche. Elles avaient été commandées spécialement par son père. 

Ce dernier avait donné l’ordre à Juan, le charpentier, de les tailler pour le dixième anniversaire de Yazid, qu’on avait fêté le mois passé, en l’an 905 de l’Hégire, 1500 selon le calendrier chré- tien. 

La famille de Juan était au service du Banu Hudayl depuis des siècles. En 932 après Jésus-Christ, le chef du clan Hudayl, Hamza ben Hudayl, avait fui Dimashk avec sa famille et ses serviteurs pour s’établir aux confins occidentaux de l’Islam. Il s’était installé à flanc de coteau, sur les contreforts des collines, à quelque trente kilomètres de Gharnata. Là, il avait fondé un village qui passerait à la postérité sous le nom d’al-Hudayl. Il se dressait sur les hauteurs et on pouvait le voir de très loin. Au printemps, les ruisseaux qui l’entouraient se transformaient en torrents de neige fondue. Aux alentours du village, les fils de Hamza avaient cultivé la terre et planté des vergers. Plus de cin- quante ans après sa mort, ses descendants s’étaient fait cons- truire un palais. Tout autour s’étendaient des champs cultivés, des vignes et des vergers plantés d’amandiers, d’orangers, de grenadiers et de mûriers, comme autant d’enfants serrés autour de leur mère. 

La plupart des pièces du mobilier, sauf bien sûr celles qu’Ibn Farid avait prises comme butin de guerre, avaient été soigneuse- ment sculptées par les ancêtres de Juan. Comme tout un chacun au village, le charpentier connaissait la place que Yazid occupait dans la famille. Le garçonnet était le préféré de tous. C’est pour cette raison que Juan avait décidé de lui fabriquer les pièces d’un jeu d’échecs qui leur survivraient à tous. En réalité, il avait même surpassé ses desseins les plus fous. 

Il avait attribué le blanc aux Maures. Leur reine était une noble beauté en mantille, son époux un monarque à la barbe rousse et aux yeux bleus, drapé dans une ondoyante tunique arabe couverte de pierres précieuses et rares. Les tours étaient les répliques de celle qui dominait l’entrée de la demeure palatiale du Banu Hudayl. Les cavaliers étaient représentés sous les traits du bisaïeul de Yazid, le guerrier Ibn Farid, dont les exploits légendaires, en amour comme à la guerre, occupaient une place de tout premier plan dans l’histoire de cette famille. Les fous rappelaient l’Imam enturbanné de la mosquée du village. Quant aux pions, ils ressemblaient étrangement à Yazid. 

Commenter ce livre

 

trad. Gabriel Buti, Shafiq Naz
04/06/2009 414 pages 25,35 €
Scannez le code barre 9782848050720
9782848050720
© Notice établie par ORB
plus d'informations