Prologue
La compagnie de lansquenets luthériens attendait dans le petit bois, en bordure du village lorrain. La nuit tombait et aucun habitant n’avait remarqué l’arrivée des démons. Par petits groupes, ils se préparaient à l’assaut, commentant, entre deux rires, leurs exploits des semaines précédentes.
La troupe du colonel Schregel se trouvait au service de Jean-Casimir, régent de l’Électorat palatin qui lui-même avait loué son armée à Henri de Navarre. Les instructions données par le duc de Bouillon, l’envoyé du Béarnais, étaient simples : ils devaient ravager et meurtrir la Lorraine afin de punir le duc de Guise. Tout était autorisé, aucune violence interdite. Le colonel avait même dit à ses hommes qu’ils pouvaient manger le peuple jusqu’à l’os, ajoutant : Fais du pis que tu pourras, et le diable ne saura que te demander.
Les lansquenets s’étaient d’abord attaqués à quelques monastères auxquels ils avaient bouté le feu après avoir profané les vases sacrés et les reliques, brisé les images de Dieu et des Saints, démoli et ruiné les cloîtres, ravagé et détruit les bibliothèques. Ils s’étaient même amusés à écorcher vif quelques prieurs incapables de payer rançon.
Ils s’en étaient aussi pris aux couvents pour femmes, pratiquant sur les nonnes les plus immondes atrocités, jusqu’à faire rôtir à la broche les plus jeunes et les plus dodues quand la fièvre de leurs débauches les emportait au-delà de l’humanité.
Les petits bourgs n’étaient pas épargnés. La nuit tombée, les lansquenets enfonçaient les portes et se répandaient dans les rues, pillant maisons, écuries, granges et greniers, commettant les pires excès là où on leur opposait de la résistance. Ils rançonnaient les plus riches, torturaient les plus pauvres, violaient femmes et filles dans une débauche de mort, d’infamies et de vins, suffoquant de plaisir aux cris de détresse et aux râles d’agonie de leurs victimes. Ils ne laissaient derrière eux que désolation et carnage.
Après chacune de leurs diaboliques entreprises, leurs chariots de butin grossissaient. Leur richesse leur permettait de s’habiller de vêtements amples, multicolores et ajourés, découpés dans les tissus les plus raffinés. Cette mise vulgaire, le port de corselets et d’armes redoutables comme les espadons tenus à deux mains, les rendaient effrayants et réduisaient la résistance qu’on aurait pu leur opposer.
Derrière de hauts taillis, Claus Schlangberg – plus familièrement Schlange –, Hans Oberbuhl et Albrecht attendaient l’ordre d’attaquer. Tous trois venaient de pays souabe. Fils de paysans dont les fermes avaient été brûlées par des Suisses, ils avaient survécu en rejoignant une bande de brigands avant d’être recrutés, pour quatre pièces d’or par mois, dans la compagnie du colonel Schregel.
Ils n’auraient pu faire meilleurs choix. À trente ans, les pauvres paysans qu’ils avaient été possédaient désormais de beaux habits, des corselets damasquinés, des pistolets et des mousquets, des espadons, des piques et toutes sortes d’armes de qualité sans compter les bourses pleines d’or et de bijoux qu’ils gardaient à leur ceinture.
Extraits
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