#Roman francophone

La Blonde. Les icônes barbares de Pierre Soulages

Lydie Dattas

"Le Père millénaire qui protégeait ses enfants n'est plus qu'une poussière au fond de l'huître sale des bénitiers. Au dieu mourant aux voûtes ecclésiales succède le vagabond outrenoir. "

Par Lydie Dattas
Chez Editions Gallimard

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Genre

Poésie

 

 

 

 

 

POUR LE MAÎTRE

du maître du noir,

in sæcula sæculorum

 

 

 

 

Depuis toujours dans l’histoire de l’humanité, quand les nœuds de la civilisation sont devenus si serrés qu’ils ne laissent plus passer le sang de la Vie, un Barbare arrive avec une hache et dit : « Ça suffit. » Soulages est ce Barbare éclairé qui fait table rase de tout pour retrouver l’essentiel. Dans cet Occident qui valorise les images au détriment des personnes, comment n’être pas fasciné par les présences anthracite du seul prophète de toute l’histoire de la peinture – hors d’elle ?

 

 

 

 

LES GUERRIERS SCARIFIÉS foudroient les visiteurs de leurs yeux anthracite. Fixés entre ciel et terre comme des suaires pétrifiés, ils ont la carrure des prophètes. À présent que s’efface la faune émotive du livre, ces religieux du noir dressent contre le néant un mur de mélanite qu’une brume archaïque encense. Rangés dans un ordre royal, leurs bataillons muets sont le dernier rempart du Verbe. Au premier pas vers eux la Blonde bondit de leurs rangs : leurs noirs cambrés mouillés de lumière électrique projettent leurs particules, tranchant le nerf optique du regardeur. Dès que la Voie lactée du sang illumine son cerveau, un bourdonnement crânien l’avertit qu’il approche de la ligne à haute tension de l’Esprit. Barrant la route aux doctes, le magnétique outrenoir ouvre ses ailes quadrangulaires. Aussi savant soit-il le visiteur n’arrachera pas leur masque à ces oxymores picturaux. Ces météorites qui s’entre-jettent leurs reflets ne trahiront pas leur mystère. Leur voltage hérissé de jaune trace une frontière absolue : impossible d’aller plus loin sans être piétiné par ces cavaliers de l’Apocalypse.

 

 

 

 

PAREIL AU ROI BARBARE préférant au palatial marbre rouge son palais de bois démontable, le maître pense noir, aime noir, rêve noir. Mettant son orgueil à imiter la simplicité de ses ancêtres, il porte partout ce deuil paysan et dort dans les draps noirs des Illuminations. Des corbeaux coruscants dans un ciel de laque rouge sont pour lui un augure. Dans ce camp retranché un totem écarquille ses yeux angoissés de fabrique. Au dernier coup de gong du soleil descend la nuit spirituelle. Sous le pin parasol où la lune replie ses jambes, au-dessus des plaques tectoniques de l’Esprit, se tient la veillée d’armes. Sur la terrasse où la table est dressée, les érudits du noir banquettent tandis qu’un vent brûlant chasse les miasmes des mots. Dans la pyramide inversée des coupes, la reine au collier de fer verse la gloire sanglante d’un vin. L’horizon marin réduit à son argenture a des miroitements d’arme blanche. Comptant royalement en siècles, le commandeur du noir fait patienter ses troupes. Pendant que le plateau d’Albion couve ses œufs nucléaires, les tableaux dressent leurs ogives nigelles contre la mort dormant dans ses silos. Sentant monter la menace nihiliste, Dieu a envoyé ce janissaire pour nous délivrer du progrès.

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06/11/2014 96 pages 9,50 €
Scannez le code barre 9782070147502
9782070147502
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