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La comtesse Greffulhe. A l'ombre des Guermantes

Laure Hillerin

"Je n'ai jamais vu une femme aussi belle", écrit à son propos le jeune Marcel Proust. Véritable légende vivante dans le Paris incandescent de la Belle Epoque, la comtesse Greffulhe, née Elisabeth de Caraman-Chimay (1860-1952), ensorcela pendant plus d'un demi-siècle le Tout-Paris et le gotha européen avant de s'effacer des mémoires, dévorée par l'ombre des Guermantes qu'elle avait inspirés. Laure Hillerin la ressuscite ici dans sa véritable dimension à travers l'étincelant portrait d'une personnalité d'exception - originale, élégante, mais aussi généreuse, artiste et visionnaire - qui, transgressant nombre d'interdits, eut sur son époque une influence aussi réelle que méconnue. Car Elisabeth Greffulhe joua un rôle de premier plan dans le renouveau de la création musicale au tournant du siècle, lança les Ballets russes, et apporta un soutien décisif à Marie Curie ou Edouard Branly. Courageuse et sans préjugés, la comtesse prit le parti de Dreyfus, tint un salon politique et diplomatique influent, agit pour l'émancipation des femmes. Rien ne laissera jamais percevoir le mystère et la douloureuse solitude d'une épouse otage d'un mari volage et manipulateur, amoureuse écartelée entre la passion et la raison. Cette biographie remarquablement documentée se lit comme un roman, et culmine dans une dernière partie qui enchantera les proustiens : à travers la comtesse Greffulhe, l'auteur apporte un éclairage nouveau sur la genèse de la Recherche, et nous révèle un texte inédit de Proust que l'on croyait disparu.

Par Laure Hillerin
Chez Flammarion

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Editeur

Flammarion

Genre

Critique littéraire

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AVANT-PROPOS


C’est un étrange paradoxe : la comtesse Greffulhe, qui fut la vedette de Paris à la Belle Époque, et bien après, est aujourd’hui totalement inconnue du grand public. Sa figure, légendaire pour ses contemporains, a été effacée par une autre légende bien plus puissante, immortelle légende de papier : celle des Guermantes.
Elle ne méritait pas cet oubli. Car elle ne s’est pas contentée, comme la belle Oriane ou madame Verdurin, de pratiquer « les Arts du Néant ». Bien au contraire, réussissant à franchir ou à contourner presque toutes les frontières que la société imposait aux femmes de son milieu et de son époque, elle a contribué, à sa mesure, à faire bouger les lignes.
Seuls quelques musicologues américains savent aujourd’hui qu’elle joua un rôle de premier plan dans la vie musicale au tournant du siècle – remettant Wagner à l’honneur, patronnant Fauré et toute une génération de compositeurs et d’interprètes, aidant Diaghilev à monter les Ballets russes en France. Plus personne ne sait qu’elle permit à Marie Curie de trouver le financement de l’Institut du radium, et à Édouard Branly de mener jusqu’au bout ses recherches sur la télémécanique.
Certains se souviennent qu’elle était belle, élégante, originale, qu’elle régnait en souveraine sur le gratin, était l’amie de tous les rois et princes d’Europe. Mais tout le monde ignore qu’elle était aussi moderne et visionnaire – dreyfusarde, féministe, philanthrope, « tête politique », reine conciliatrice de la IIIe République – et qu’elle tint le salon diplomatique et politique « le plus suivi, le plus complet, le plus brillant de tout Paris » avant la première guerre.
On sait, enfin, qu’elle fut l’un des modèles d’Oriane et de sa cousine ; mais on n’a pas encore mesuré le rôle clé qu’elle a joué dans la genèse de la Recherche, dans la mystérieuse alchimie créatrice qui conduisit Proust à édifier sa cathédrale autour de la figure mythique des Guermantes.
Ironie du sort : elle qui avait gouverné sa vie et son image comme une œuvre d’art, dans l’objectif d’être « inoubliable », y a échoué, précisément parce qu’elle avait trop bien réussi. Le roman l’a emporté sur la vie, il a dévoré et fait disparaître la femme réelle qui aurait tant voulu laisser une trace. C’est elle que j’ai voulu faire revivre.
La documentation est pléthorique – 209 cartons d’archives privées déposés aux Archives nationales, auxquels s’ajoutent les 63 cartons du fonds comte Greffulhe. Toute une vie conservée, depuis l’enfance, et même avant, jusqu’à la mort. La bibliographie, elle aussi, est foisonnante, car celle qui fut la reine de Paris figure en bonne place, non seulement dans la presse de l’époque, mais aussi dans la correspondance, les journaux et les mémoires de ceux qui ont eu l’occasion de la côtoyer. Pourtant, un seul ouvrage lui avait été consacré jusqu’à présent : celui de son arrière-arrière-petite-fille Anne de Cossé-Brissac.
L’entreprise était un défi, car il s’agissait de raconter à la fois une longue existence – quatre-vingt-douze années, couvrant la fin du Second Empire, deux Républiques, deux guerres mondiales ; des activités multiformes, dans des sphères très différentes, s’inscrivant, elles aussi, dans la durée ; une personnalité complexe, une vie intime et douloureuse qui s’est peu à peu dévoilée au fil de mes recherches, face cachée de cet astre qui était le symbole public du bonheur et de la réussite ; enfin, last but not least, ses relations avec Marcel Proust et l’influence qu’elle eut sur son œuvre – les unes comme l’autre très méconnues.
J’ai donc été amenée à adopter pour cet ouvrage un plan singulier, en cinq parties. Seule la première est chronologique. Les trois suivantes approfondissent le portrait, en braquant le projecteur sur différents aspects de sa vie publique et privée, sur sa famille et ses amis proches. La dernière, enfin, consacrée à Marcel Proust, referme la boucle en retraçant l’histoire d’un rendez-vous manqué dans la vie et d’une transmutation miraculeuse dans la littérature.
Les Guermantes sont devenus éternels. La comtesse Greffulhe avait été reléguée dans le « royaume du Néant ». J’espère avoir contribué à l’en arracher.
 
 

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15/10/2014 570 pages 24,00 €
Scannez le code barre 9782081290549
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