« L’emplacement sacré des réunions fédérales est un monde clos qui équivaut à l’Espace total et à l’Espace entier. Il est le lieu où, regroupant les emblèmes de ses différentes fractions, le groupe social connaît sa diversité, sa hiérarchie, son ordre et où il prend conscience de sa force une et complexe. C’est là seulement où le groupe fédéré éprouve son union, que l’étendue, compacte et pleine, concentrée, cohérente, peut paraître une. La Capitale, où l’on s’assemble, doit être choisie (après une inspection de l’étendue) dans un site qui s’atteste voisin de “la résidence céleste”, dans un site qui, par la convergence des rivières et la confluence des climats, s’avère comme le centre du monde ».
Marcel Granet ([1934] 1990 : p. 82-83).
Introduction
Hétérotopie orientale
De 2010 à 2011, l’idée d’« urbanisation harmonieuse1 » fut mise en avant dans la Couronne de l’Orient avec, comme fondement, une reconsidération du passé afin d’entrevoir l’avenir écologique de la Chine2. Un thème fut plus particulièrement développé, celui de « la sagesse chinoise dans le développement urbain3 » que l’édifice est dit symboliser. De fait, ce dernier est assimilable à une hétérotopie au sens de Michel Foucault4, car il est un espace institutionnel qui recèle une « utopie effectivement réalisée5 ». Il « incarne un projet6 » qui porte au firmament la vision que la Chine a du monde contemporain, dans la mouvance du nouveau confucianisme.
Afin de démêler les intrications symboliques, politiques et discursives qui rendent le bâtiment pour le moins intrigant7, on propose de pénétrer dans les méandres de sa structure jugée « curieuse » bien qu’elle s’impose à la vue comme une référence explicite à la culture chinoise classique. C’est bien ainsi que l’envisagea He Jintang, l’architecte en chef : emblématiquement chinoise et volontairement énigmatique. Au terme de longues et parfois âpres sessions de brainstorming qui se tinrent à l’école d’architecture du Sud, dans la province du Guangdong8, il fut notamment décidé que des « symboles culturels » devaient être incorporés au design9. S’ensuivirent de nombreux commentaires lors de la présentation aux médias de la maquette du pavillon national, à la satisfaction de He Jingtang : « Certains disent qu’il [le pavillon] ressemble à une coiffe d’officier chinois. D’autres disent que c’est une sorte d’ancien récipient chinois pour cuisiner. On dit même que c’est une grange à grains. Qu’importe ce qu’ils pensent de cette image, ils pensent tous que c’est très chinois. C’est ce que je voulais10. » Difficile toutefois de croire que l’architecte ait librement laissé parler sa créativité sans devoir composer avec les directives gouvernementales, précédant et motivant probablement l’entreprise architecturale. He Jingtang prête à l’édifice une efficacité symbolique que lui et son équipe maîtrisent, mais dont ils ne livrent pas directement les fondements conceptuels et idéologiques. Les non-dits voire les secrets qui entourent les constructions muséales – monumentales – les plus récentes11, lesquelles mettent précisément en avant des caractéristiques proprement chinoises et symbolisent une mise en ordre du monde – se démarquant dès lors des formes architecturales occidentales (bien qu’elles continuent aussi de s’en inspirer) – sont remarquables. La suggestivité à laquelle ils renvoient évoque l’idée d’encryptage introduite précédemment. Il convient précisément de décrypter ce langage architectural qui reflète une idéologie d’État.
Extraits
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