Préface
Ce livre est né à mon insu en 1977 alors qu’en congé au St. Anthony’s College, à Oxford, je poursuivais des recherches en vue d’une histoire du « cycle de vie ». Je lisais des manuels de sage-femme du XVIIe siècle — à l’affût de matériaux sur la manière dont s’organisaient les naissances — mais je trouvais d’abord des conseils à l’intention des femmes, leur indiquant comment tomber enceintes. Sages-femmes et médecins paraissaient croire que l’orgasme féminin était l’une des conditions d’une heureuse génération et offraient diverses suggestions sur le moyen d’y parvenir. L’orgasme était censé relever de la routine, être un moment plus ou moins indispensable de la conception. J’en fus surpris. L’expérience a dû démontrer que la grossesse intervient souvent sans lui ; de surcroît, en tant qu’historien du XIXe siècle, j’étais habitué à voir les médecins débattre de l’existence même d’un orgasme féminin. Dans la période que je connaissais le mieux, ce qui avait été naguère une occurrence charnelle ordinaire, quoique explosive, était devenu un problème majeur de physiologie morale.
Mon projet sur le « cycle de vie » s’éclipsa lentement. Je me mariai ; nous eûmes un enfant ; je passai une année à la faculté de médecine en 1980-1981. De quelle façon exactement les changements intervenus dans ma vie permirent à ce livre de m’absorber, ce n’est pas encore entièrement clair à mes yeux, mais le fait est là. (Quant aux origines intellectuelles, elles sont plus évidentes : un groupe d’amis lança Representations ; je dirigeai un séminaire sur le corps et le corps social dans la littérature du XIXe siècle avec Catherine Gallagher ; je découvris les études littéraires et historiques féministes ; mon compagnon de presque tous les jours dans la récréation rationnelle du cappuccino, Peter Brown, travaillait alors à son livre sur le corps et la société dans l’Antiquité tardive.) Dans un premier temps, j’axai ma recherche sur la disparition de l’orgasme, et les pages qui suivent portent la marque de ce que furent mes préoccupations à l’origine. Mais peu à peu la summa voluptas se trouva absorbée dans la question plus vaste du rapport entre le corps et la différence sexuelle et en fait, plus généralement, de la nature de la différence sexuelle.
On pourrait croire qu’il n’y a aucun problème en l’occurrence. Que la biologie définisse les sexes semble parfaitement évident : que pourrait donc signifier le sexe par ailleurs ? Aussi les historiens ne sauraient avoir grand-chose à dire sur la question. Dans la plupart des circonstances, tout se résume au pénis, que l’on a ou que l’on n’a pas, et, pour faire bonne mesure, on pourrait ajouter autant d’autres différences qu’il nous plaît : les femmes ont leurs menstrues et allaitent, pas les hommes ; les femmes ont une matrice qui porte les enfants, alors que l’organe et cette faculté font défaut aux hommes. Je ne conteste aucun de ces faits, même s’ils ne sont pas aussi concluants qu’on pourrait le croire si l’on va au fond des choses. (Un homme sans pénis reste censément un homme, et les efforts scientifiques pour fixer définitivement le sexe — le test de la configuration chromosomique des cellules de la cavité buccale voulu par le Comité olympique — donnent des résultats saugrenus.)
Extraits
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