Le taxi l’avait déposée à l’angle du boulevard. Elle n’avait que cinquante mètres à faire pour revenir chez elle. La rue était éclairée par les réverbères qui coloraient les façades d’une lumière orange, et pourtant elle s’était méfiée, comme toujours en pleine nuit. Elle s’était retournée et n’avait vu personne. La lumière de l’hôtel juste en face inondait le trottoir entre les deux arbustes en pot qui signalaient l’entrée du trois-étoiles. Elle s’était arrêtée devant la porte, avait ouvert le zip central du sac pour chercher son trousseau de clés avec son passe Vigik, et puis tout était allé très vite. Une main avait agrippé la sangle, une main sortie de nulle part et appartenant à un homme brun, vêtu d’un blouson. La peur ne mit qu’une seconde à traverser toutes ses veines et à remonter vers son cœur pour y exploser en une pluie glacée. Par réflexe, elle s’agrippa à son sac, l’homme tira et devant sa résistance posa la paume de sa main sur son visage et projeta sa tête vers le métal de la porte. Le choc la fit vaciller, elle vit la rue s’éclairer de microparticules éclatantes, pareilles à des lucioles en suspension, sa poitrine se remplit d’un frisson et ses doigts desserrèrent le sac. L’homme eut un sourire, la sangle fit un cercle dans l’air et il s’enfuit. Elle resta contre la porte tout en suivant des yeux la silhouette qui s’évanouissait dans la nuit. L’oxygène pénétrait à intervalles réguliers dans ses poumons, elle avait la gorge en feu et la salive lui manquait – la bouteille d’eau était dans le sac. Elle tendit un doigt vers les touches du code, poussa doucement la porte avec son dos et se glissa à l’intérieur.
La porte de verre et de fer noir mit une barrière de sécurité entre elle et le monde. Doucement, elle s’assit sur les marches en marbre de l’entrée et ferma les yeux. Attendant que son cerveau veuille bien se calmer et revenir à son fonctionnement normal. À la manière de l’effacement progressif des consignes de sécurité dans les avions, les voyants – On m’attaque. Je vais mourir. On m’a volé mon sac. Je ne suis pas blessée. Je suis en vie – disparurent un à un. Elle leva les yeux vers les boîtes aux lettres, y lut son prénom, son nom et son étage : 5e gauche. Désormais sans clés, à presque deux heures du matin, elle n’était pas près de pousser la porte du 5e gauche. Ce fait très concret prenait forme dans son esprit : Je ne peux pas rentrer chez moi et on m’a volé mon sac. Il n’est plus avec moi, je ne le reverrai jamais. Une partie d’elle-même venait de disparaître de la manière la plus brutale. Elle regardait autour d’elle comme si le sac allait se matérialiser, annulant la séquence qui venait d’avoir lieu. Mais non, il n’était plus là. Il était loin dans les rues, arraché, il volait au bras de l’homme qui courait, il allait l’ouvrir et trouver ses clés, ses papiers d’identité, ses souvenirs. Toute sa vie. Elle sentit des larmes brûlantes lui monter aux yeux. Peur, désespoir et colère se mêlaient au tremblement de ses mains qui semblait ne vouloir jamais s’arrêter lorsque la douleur dans la nuque se fit plus vive. Elle y passa ses doigts, elle saignait, et bien sûr le paquet de mouchoirs était dans le sac.
Extraits
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