AVERTISSEMENT
(1995)
L'ouvrage qui suit – pour l'essentiel une anthologie de textes d'époque, en un certain ordre assemblés – a paru pour la première fois en 1977. En vue de la présente édition l'auteur a voulu ajouter quelques documents alors inédits, apportant un éclairage nouveau. Il n'en a pas trouvé. La grande ordalie rétrospective à laquelle se livre ce pays depuis un quart de siècle (1970 : mort du Père, Charles de Gaulle) a pourtant suscité, à côté de multiples études, essais et pamphlets, la publication de nombreux mémoires en défense, anthumes et posthumes, signés de divers acteurs de la Collaboration, depuis le ministre germanophile façon Jacques Benoist-Méchin jusqu'au Waffen-SS de base façon Lucien Gauthier. Mais le propos de ce livre était ailleurs : redonner la parole à la France allemande, dans le temps et dans l'espace où elle avait encore ce ton inimitable que donne à l'homme la conviction d'être dans le sens de l'Histoire. La demi-douzaine d'extraits qui ne respectent pas ce principe et empruntent au genre des mémoires appartient du moins à un autre cercle, secondaire mais utile : celui des textes écrits au lendemain de la Chute, sous son effet et à sa lumière crue ; le texte final de Drieu La Rochelle en est le plus bel exemple. Élargir aux textes de cette fin de siècle aurait posé de tout autres problèmes : « la littérature rétro-satanas », dont l'auteur avait proposé un premier historique et une première analyse dès 1974, est devenue un genre en soi, qui mériterait sa propre anthologie. On laissera ce soin à d'autres, moins soumis que l'auteur ne l'était en 1977 à cette détermination de s'intéresser aux Années noires si peu scientifique et si impure : la morale.
INTRODUCTION
L'intention de l'auteur n'est pas ici de parler de la Collaboration mais des collaborateurs. Et ce en leur redonnant, autant que faire se peut, la parole. L'accent a donc été mis sur le discours de tous ces petits acteurs qui pendant un lustre ont entrepris d'occuper la place publique sous la tutelle des plus grands, pouvoir français et, surtout, puissance allemande. Le journal extime, la lettre plus ou moins ouverte et, bien entendu, l'article de presse ont donc été préférés aux textes de l'institution, rapports, traités et allocutions, marqués au sceau de l'officiel – ou du confidentiel, cette dernière catégorie n'étant à tout prendre que l'image inversée de la précédente.
Ainsi se trouvera mise au jour cette idéologie longtemps occultée, moins confuse que méconnue, à l'accent caractéristique et désormais, sans doute, reconnaissable. Cette ébauche de phénoménologie constituerait ainsi la moins contestable introduction à ce qui est devenu pour nombre d'années l'objectif principal de la plupart des observateurs attirés par ce moment équivoque : l'analyse non de l'exceptionnel, la Révolte, mais du normal, la Soumission.
PAROLES ET CENSURES
La censure de ce discours ne fut pas elle-même des plus simples. On peut penser qu'elle se fit en deux temps, solidaires par-delà leur apparente opposition. Un quart de siècle fut bien nécessaire à notre pays pour épuiser les charmes d'un certain résistantialisme établi, où le politique et l'historiographique se soutenaient l'un l'autre pour convaincre la communauté nationale de son vaste consensus héroïque, et du profond isolement des voix collaboratrices. Ce schéma se trouvait renforcé dialectiquement par la hargne de ceux qui, petit à petit, de la clandestinité à la place publique, tentaient d'engager devant la postérité le procès en réhabilitation des réprouvés. Un irrésistible glissement conduisait ceux-là de la révision du cas Pétain – l'homme qui avait fait don de sa personne au pays – à la justification de son chef de gouvernement, Pierre Laval, offert en holocauste à l'incompréhension de ses contemporains ; de la collaboration d'État sous toutes ses formes aux exploits des lansquenets de la nouvelle Europe. En un mot, une ère de plaidoyers et de réquisitoires, peu propice au retour aux sources.
Extraits
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