#Roman francophone

La lettre qui allait changer le destin d'Harold Fry

Rachel Joyce

Il aura suffi d'une lettre – la lettre d'adieu d'une amie qui se meurt – pour jeter Harold Fry sur les routes d'Angleterre. Quelques sous en poche, une paire de chaussures-bateau et l'espoir de la revoir une fois encore… Cottage après cottage, bocage après bocage, Harold marche, persuadé que, tant qu'il avance, son amie vivra. Il marche et repense à sa vie. Mille kilomètres parcourus pour que le destin d'Harold Fry rejoigne celui de sa femme, son fils, son amie, et tous ceux qu'il croise sur sa route… « Un roman d'une rare puissance, où on bascule sans cesse du rire aux larmes. Inoubliable. » Le Parisien « Un roman qui fait frétiller vos neurones de plaisir et de... bonheur ! C'est drôle, surprenant, rempli de vie et d'humour, original, irrespectueux, tendre, provocateur. » Gérard Collard – LCI

Par Rachel Joyce
Chez Pocket

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Editeur

Pocket

Genre

Littérature anglo-saxonne

1
Harold et la lettre


La lettre qui devait tout changer arriva un mardi. C'était une matinée de la mi-avril comme les autres, qui sentait le linge fraîchement lavé et l'herbe coupée. Rasé de près, en chemise et cravate impeccables, Harold Fry était installé à la table du petit déjeuner devant une tartine de pain grillé à laquelle il ne touchait pas. Par la fenêtre de la cuisine. il contemplait la pelouse bien entretenue, transpercée en son milieu par le séchoir télescopique de Maureen et limitée sur les trois côtés par la palissade du voisin.
— Harold ! lança Maureen par-dessus le bruit de l'aspirateur. Le courrier !
Il se dit que ce serait agréable d'aller dehors, mais tout ce qu'il y avait à faire, c'était de tondre la pelouse, et il s'en était déjà chargé la veille. Le ronronnement de l'aspirateur s'éteignit, puis son épouse apparut, l'air mécontent, une lettre à la main. Elle s'installa face à lui.
Maureen était une femme menue, avec un casque de cheveux argentés et une allure décidée. Quand ils s'étaient rencontrés, la première fois, il avait aimé pardessus tout la faire rire. Voir sa jolie silhouette secouée par une joie folle.
— C'est pour toi, annonça-telle.
Il ne saisit le sens de ses paroles que lorsqu'elle posa une enveloppe sur la table et la poussa vers lui. Quand la lettre toucha presque son coude, tous deux la contemplèrent comme s'ils n'en avaient jamais vu auparavant. Elle était rose.
— D'après le cachet de la poste, elle vient de Berwick-upon-Tweed.
Il ne connaissait personne à Berwick. D'ailleurs, il ne connaissait pas grand monde où que ce soit.
— C'est peut-être une erreur, avança-t-il.
— Je ne crois pas. Ils ne peuvent pas se tromper de cachet.
Elle prit une tartine dans le grille-pain. Elle aimait ses toasts froids et secs.
Harold examina la mystérieuse enveloppe. Le rose n'avait rien à voir avec celui de leur salle de bains, ou des serviettes et de la housse des W-C assorties, une couleur vive qui mettait Harold mal à l'aise. Celui-ci avait la nuance délicate d'un loukoum. Le nom et l'adresse étaient inscrits au stylo-bille, les lettres maladroitement tracées se chevauchant comme si un enfant les avait gribouillées en hâte. « Mr. H. Fry, 13, Fossebridge Road, Kingsbridge, South Hams. » L'écriture ne lui disait rien.
— Eh bien ? interrogea Maureen en lui tendant un couteau.
Il posa la lame à l'angle de l'enveloppe et l'inséra dans le pli.
— Doucement, Harold.
Il sentit son regard sur lui tandis qu'il extrayait la feuille et rajustait ses lunettes sur son nez. La lettre elle-même n'était pas manuscrite et elle venait d'un endroit qu'il ne connaissait pas, le centre de soins palliatifs St. Bernadine. « Cher Harold, tu seras sans doute surpris de recevoir ce courrier. » Il alla directement à la signature.
— Eh bien ? répéta Maureen.
— Doux jésus. C'est de Queenie Hennessy.
Maureen planta son couteau dans le beurre et en détacha un fragment qu'elle étala sur son toast.
— Queenie comment ?
— Elle travaillait à la brasserie, il y a longtemps. Tu ne t'en souviens pas ?
Maureen haussa les épaules.
— Je devrais ? Je ne vois pas pourquoi je me souviendrais de quelqu'un après tant d'années. Passe-moi la confiture, s'il te plaît.
— Elle était au service financier. Une personne très compétente.
— Ça, c'est la marmelade d'orange, Harold. La confiture est rouge. Si tu te donnais la peine de regarder ce que tu fais, tu te rendrais compte que c'est plus facile.
Harold lui donna satisfaction, puis il se replongea dans la lecture de la lettre. La présentation était excellente. Rien à voir avec le gribouillis sur l'enveloppe. Il sourit. C'était toujours ainsi avec Queenie ; elle faisait tout de manière impeccable.
— Elle, elle se souvient de toi, dit-il. Elle te transmet son meilleur souvenir.
Maureen pinça les lèvres.
— J'ai entendu à la radio que les Français voulaient notre pain tranché. Ils viennent ici et achètent tout. Le type disait qu'on risquait la pénurie d'ici l'été.
Elle fit une pause.
— Harold ? Quelque chose ne va pas ?
Il ne répondit pas. Il se redressa, blême, les lèvres entrouvertes. Quand il parvint à parler, ce fut d'une voix étouffée.
— C'est... le cancer. Queenie écrit pour dire adieu.
Il tenta d'ajouter quelque chose, mais les mots lui manquèrent. Sortant un mouchoir de la poche de son pantalon, il se moucha.
— Je... Bon sang, dit-il, les yeux pleins de larmes.
Quelques instants s'écoulèrent. Quelques minutes, peut-être. Le bruit que fit Maureen en déglutissant vint gifler le silence.
— Je suis désolée.
Il hocha la tête. Il aurait dû lever les yeux, mais il en était incapable.
— Il fait beau, ce matin, reprit-elle. Tu pourrais peut-être sortir les chaises de jardin ?
Mais il resta ainsi, sans un mot, sans un geste, jusqu'à ce qu'elle débarrasse la table. Un peu plus tard, l'aspirateur redémarra dans le vestibule.

Harold en avait le souffle coupé. Il n'osait remuer un muscle ou un membre, de peur de déclencher l'avalanche d'émotions qu'il tentait de maîtriser de son mieux. Pourquoi avait-il laissé passer vingt ans sans essayer de retrouver Queenie Hennessy ? L'image de la petite femme aux cheveux sombres avec laquelle il travaillait à l'époque lui revint en mémoire. Était-il possible qu'elle ait maintenant... Quel âge ? Soixante ans ? Et qu'elle soit en train de mourir d'un cancer à Berwick ? À Berwick ! Il n'était jamais monté si haut vers le nord de l'Angleterre. Il jeta un coup d'œil au-dehors. Dans le jardin, un ruban de plastique était pris dans la haie de lauriers et claquait au vent sans pouvoir se libérer. Harold fourra la lettre de Queenie dans sa poche, la tapota deux fois pour qu'elle ne tombe pas, puis se leva.

*

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trad. Marie-France Girod
03/10/2013 408 pages 8,60 €
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