1
Alina
Je serre la main d’Abel dans la mienne, et il me regarde. Il glisse son autre main dans sa poche.
– Maintenant ? demande-t-il.
– Non, non. Pas encore, je murmure.
Plusieurs caméras sont pointées sur nous, et il y a un garde à seulement quelques mètres. J’attire Abel tout contre moi et lui caresse la nuque. Nous ne sommes pas un vrai couple, mais faire semblant nous rend moins suspects.
– Bon, tu me dis quand, alors, répond Abel.
Nous nous rapprochons d’un taillis de bouleaux argentés et d’un groupe de personnes qui les admirent. Leur guide s’est lancé dans une explication détaillée de ce qui est nécessaire pour conserver des arbres en vie, et les touristes, essentiellement des Premiums, boivent ses paroles.
– Il a fallu près de douze ans pour faire pousser cet arbre. Vous ne trouverez un tel spécimen nulle part ailleurs sur la Terre.
Je me retiens de lever les yeux au ciel, et je sors plutôt ma tablette pour prendre une photo et avoir l’air d’une vraie touriste.
Une voix ferme annonce au haut-parleur : « La zone de conservation fermera ses portes dans cinq minutes. Nous vous remercions de bien vouloir quitter la biosphère. La zone de conservation fermera ses portes dans cinq minutes. Nous vous remercions de bien vouloir quitter la biosphère. »
– C’est trop tard, déclare Abel en lâchant ma main pour se diriger vers la sortie.
Je me jette à son cou. À l’entraînement, il avait l’air si sûr de lui. Je ne pensais pas que la peur pourrait prendre ainsi le dessus.
– On ne peut plus reculer, dis-je. Ça fait des mois qu’on économise pour payer le billet d’entrée. Il nous faut ces échantillons. On ne partira pas d’ici sans eux.
Je regarde furtivement autour de nous. Tout le monde se dirige vers nous. Y compris les gardes. Je l’embrasse sur le bout du nez. Il a un mouvement de recul.
– Pourquoi ton oncle et ta tante ne s’en chargent pas ?
– Je te l’ai déjà expliqué ! je réplique sèchement. Ils sont agriculteurs et n’ont pas de permis pour cette partie de la biosphère.
Les participants à la visite guidée avancent en piétinant vers la boutique de souvenirs. J’adresse un grand sourire à un couple plus âgé qui nous regarde et qui me sourit en retour.
– Si je me fais prendre...
– On ne va pas se faire prendre, dis-je sans en être sûre.
Tout ce dont je suis sûre, c’est que je ne me suis jamais fait prendre jusqu’à présent, et que c’est son hésitation qui nous met le plus en danger.
Je l’entraîne à nouveau vers l’endroit choisi, là où seule la caméra n° 4 peut nous repérer.
– Elle est sur ta droite, je précise. Ne la rate pas.
Il hoche la tête, farfouille dans sa poche, en retire son poing fermé. Je sais qu’il a pris la pierre. Maintenant, j’ai envie de l’embrasser pour de vrai, mais ce n’est pas le moment, et de toute façon, ce n’est pas dit qu’il ait envie que je l’embrasse.
Ça y est, la caméra est pointée dans la direction opposée. Je donne un coup de coude à Abel, et il jette la pierre. Je retiens ma respiration. Je voudrais fermer les yeux car je devine qu’elle va rater sa cible. On va se faire prendre. Et on n’aura pas la chance de finir en prison. On va juste disparaître.
Extraits
Commenter ce livre