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La nécessité du chagrin d'amour. Alain-Fournier ou l'invention de l'adolescence

André Agard

L'adolescence est une invention récente des sociétés occidentales, dont Le Grand Meaulnes fut un signe avant-coureur. Encore pris dans la crise dont il élabore le mythe, Alain-Fournier en offre le paradigme. Sa vie, vouée à l'adolescence par sa mort prématurée, en éclaire tous les ressorts. A quoi servent les chagrins d'amour ? Pourquoi devient-on écrivain ? Et comment devient-on vélocilecteur, avide de balades solitaires et de livres où s'inventer par les mots des autres ? Un roman, écrit avant la Première Guerre mondiale, rencontre un demi-siècle plus tard un lecteur aussi jeune que son héros, lui ouvre un passage vers la psychanalyse et change sa vie.

Par André Agard
Chez Epel

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Editeur

Epel

Genre

Psychologie, psychanalyse



 

 

 

Avant-propos

 

 

 

« Je suis hanté depuis un certain temps par cette idée : il y a quelque chose que je dois savoir avant de mourir… Il me semble que je vais être jeté dans les ténèbres et l’on me demandera ce que j’ai appris et je ne saurai rien, et mon supplice sera ce monstrueux remord de n’avoir pas appris ce qu’il fallait savoir1. »

 

 

Ces mots sont écrits par Alain-Fournier en décembre 1909 ; il a vingt-trois ans. Il sera tué au sud de Verdun, sur le front, le 22 septembre 1914 – brutalement « jeté dans les ténèbres ».

Qu’avait-il donc à savoir en ce début de l’hiver 1909 ? Et dans un sentiment prémonitoire d’urgence.

Il est à ce moment de sa vie en pleine crise morale ; il poursuit obstinément depuis des années le même projet : écrire.

Ce jeune homme se cherche, il se sent aliéné dans des conflits intérieurs, et des relations amoureuses orageuses, qui le font douter de lui-même. Il ne sait pas encore que la question de la sexuation − l’élaboration de l’identité sexuelle − relève du bricolage, parfois réussi, pour chacun, homme ou femme. Il traverse depuis des années un grand chagrin d’amour, ce chagrin qui permettrait de devenir soi-même, une fois, avant de mourir.

Il est pris dans un « devenir » : devenir homme et devenir, au bout d’un long travail, et sans garantie d’aboutir, sujet de sa parole, de ses affects, de son histoire avec ses héritages, parfois douloureux, mais assumés avec leurs dettes.

Ce qui, pour lui, signifie devenir écrivain.

C’est d’ailleurs à cette époque de sa vie, précisément, qu’il commence la rédaction concrète de son roman.

L’adolescence n’est, si l’on peut dire, pas encore inventée.

Freud n’en parle presque pas, même s’il mentionne les problèmes liés à la puberté. Cette question, symptôme de nos sociétés occidentales, est récente : après la Seconde Guerre mondiale. Auparavant, le service militaire et les guerres, qui ont décimé chaque génération ou presque de jeunes hommes depuis la fin du XVIIIe siècle, dissimulent ou évacuent le problème ; on ne sait pas s’il existe. On sait bien, cependant, que la période du début de l’âge adulte n’est pas sans souffrances évidentes. Pour les filles, elle est « résolue » par le mariage et, ce qui doit lui suivre, la maternité.

L’adolescence et ses tourments propres prennent le devant de la scène avec des films comme À l’est d’EdenLa fureur de vivre et l’acteur James Dean, dans les années cinquante ; avec des livres repères, comme Le Diable au corps de Raymond Radiguet, en 1923 ; et L’Arrache-cœur de J. D. Salinger publié en 1945.

Le sujet adolescent y est montré errant, douloureux, dans une quête dite identitaire, qui rejette les modèles imposés par les parents ou leurs représentants, les enseignants ; à la recherche de sa subjectivité, et d’une cohérence interne libérée des aliénations de l’enfance. C’est en lui, par lui-même, et tout seul, que l’adolescent veut trouver l’issue à ses tourments – étrangement incompréhensibles pour les autres et notamment les adultes qui ne font qu’isoler le jeune par des conseils inadaptés, des exigences à côté de la question, comme s’ils avaient totalement oublié qu’ils sont passés par là.

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19/03/2009 159 pages 19,00 €
Scannez le code barre 9782354270063
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