Editeur
Genre
Histoire ancienne
Non facit nobilem atrium plenum fumosis imaginibus…
Animus facit nobilem.
« Un atrium rempli de portraits enfumés ne fait pas la noblese…
C’est l’âme qui fait l’être noble ».
Sénèque, Lettres à Lucilius, V, 44, 5.
Trois têtes, une statue à trois têtes : telle est la première chose qui frappe le regard lorsque l’on contemple la « statue Barberini », exposée actuellement à la Centrale Montemartini. Il ne s’agit pourtant pas d’un monstre mythologique mais d’un respectable sénateur romain, vêtu d’une ample toge aux plis majestueux1. Campé fièrement, appuyé du côté droit sur une petite colonne imitant un tronc d’arbre, il tient dans chaque main le buste d’un ancêtre mais à des niveaux différents car le buste de gauche est placé plus haut que son homologue de droite. Le terme buste est d’ailleurs en partie impropre car les épaules ne sont pas représentées et ces deux portraits apparaissent plutôt comme des masques prolongés par un cou. La dénivellation symbolise une différence de génération et le masque situé le plus bas appartient donc à l’ascendant le plus éloigné, vraisemblablement le grand-père. De fait, les styles des portraits comme de la statue permettent d’illustrer la présence de trois générations. Si les plis de la toge placent la sculpture de la statue à l’époque d’Auguste, le fondateur de l’Empire romain (27 av. J.-C.-14 ap. J.-C.), le masque de gauche imite le style des portraits des années 20-15 av. J.-C., alors que celui de droite s’inscrit dans la veine naturaliste du milieu du Ier siècle. Il y a trois têtes mais le véritable visage du porteur de bustes/masques n’est plus connu car la tête surmontant actuellement la statue y a été fixée seulement à l’époque moderne. De par son style, elle appartient à l’époque du second triumvirat (43-32 av. J.-C.).
Beaucoup de commentateurs voient dans ce sénateur un patricien mais les indices fournis par la statue ne sont pas assez significatifs pour aboutir à une conclusion aussi claire. En revanche, la référence aux ancêtres signale clairement le noble, fier de son origine prestigieuse. Et le télescopage des générations autant que les bricolages ultérieurs de la statue sont bien à l’image de la noblesse romaine. À l’exemple de ces portraits de factures diverses insérés dans un ensemble unique, la noblesse de Rome apparaît comme une construction permanente guidée par des principes ancestraux, une succession de strates fondues dans un tout cohérent, un groupe ouvert aux apports successifs mais toujours fidèle à la même inspiration. Il n’est pas jusqu’à la réutilisation d’une autre tête au XVIIe siècle qui ne symbolise la vitalité d’un modèle capable de répondre à de nouveaux défis sociaux tout en se ressourçant dans son passé. Composite dans son principe même, la « statue Barberini » – et le même constat vaut pour la noblesse – n’en apparaît pas moins figée dans l’éternité.
Extraits
Commenter ce livre