#Essais

La Qualité du Pardon. Réflexions sur Shakespeare

Peter Brook

Shakespeare et Peter Brook se connaissent depuis longtemps. Ils ont très souvent travaillé ensemble, dans tous les pays du monde, et pour le meilleur. Tout au long de sa vie, Peter Brook a exploré les secrets de cette œuvre incomparable, et constamment recommencée, comme si elle surgissait neuve et fraîche sous chaque regard. Dans ce livre, loin de toute théorie, de manière simple et concrète (et souvent drôle), il nous parle de son travail et de ses expériences, de ce qu’il a vu, senti, quelquefois compris, des abymes, des mystères, des visions, des détours étonnants du cœur et de la pensée que nous propose Shakespeare et – par-dessus tout – de cette force incomparable, qui surpasse toutes les autres, et qui est celle du pardon. J. -C. C. Traduit de l'anglais par Jean-Claude Carrière

Par Peter Brook
Chez Seuil

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Editeur

Seuil

Genre

Critique littéraire

Ceci n’est pas un ouvrage universitaire. Je m’y efforce de ne pas donner des conférences sur Shakespeare. Il s’agit d’une série d’impressions, d’expériences et de conclusions provisoires.

Shakespeare a quelque chose d’unique. Si chaque nouvelle production est obligée de trouver ses propres formes, les mots écrits n’appartiennent pas au passé. Ils sont des sources qui peuvent créer et habiter toute forme nouvelle.

Il n’y a pas de limites à ce que nous pouvons trouver dans Shakespeare. C’est pourquoi j’essaie de suivre son exemple, et d’éviter toute pédanterie.

Comme le dit un proverbe africain : « Être trop sérieux n’est pas très sérieux. »

Je me trouvais à Moscou, je parlais de Shakespeare à l’occasion du Festival Tchekhov. Quand j’eus terminé, un homme se leva et, tout en contrôlant sa voix qui vibrait de colère, il annonça publiquement qu’il appartenait à une des républiques islamiques du sud de l’URSS.

« Dans notre langue, dit-il, shake veut dire cheikh et pir désigne un homme sage. Pour nous, aucun doute ne subsiste. Depuis longtemps nous avons appris à lire les messages secrets. Celui-ci est clair. »

Pour ma part, je fus surpris que personne ne nous annonçât que Tchekhov était à coup sûr un Tchèque.

Depuis lors, ici et là, on m’informa d’autres revendications, concernant l’œuvre du poète. La dernière en date vint de Sicile. Un érudit venait de découvrir qu’une famille, jadis, avait fui Palerme pour l’Angleterre à cause de l’Inquisition. Ils s’appelaient Crollolancia. Aucun doute : crollo signifie secouer (shake) et une lancia est une lance (a spear). Un code évident, là encore.

Il y a quelques années, le plus réputé des magazines intellectuels américains demanda à tout un groupe de professeurs d’explorer cette grande question : « Qui a écrit Shakespeare ? » Je ne sais trop pourquoi, ils me demandèrent une contribution, et je leur envoyai une reductio ad absurdum, assez drôle il me semble, de toutes leurs théories.

L’éditeur me renvoya mon texte avec une note m’informant que, bien qu’ils m’aient demandé cet article, il ne leur était pas possible de le publier, car il n’était pas à la hauteur du niveau académique qu’ils attendaient des participants.

Ma conclusion m’avait accablé, à leurs yeux. J’y citai un remarquable humoriste anglais du début du XXe siècle, Max Beerbohm. Pour répondre aux tortueuses tentatives qui veulent trouver partout des secrets cachés, il prouva que les œuvres de Tennyson avaient été écrites par la reine Victoria. Pour ce faire, très patiemment, il scruta In memoriam ligne après ligne et trouva une anagramme qui disait exactement : « Alf n’a pas écrit ça, je l’ai écrit Vic » (Alf didn’t write this I did Vic). Alf désignait Alfred Tennyson, et Vic, évidemment, la reine Victoria.

Nous pouvons tous nous mettre d’accord au moins sur un point : Shakespeare a été et reste unique. Il domine tous les autres auteurs dramatiques. La combinaison d’éléments génétiques – ou de planètes, si l’on préfère – qui présida à son apparition dès l’utérus est si stupéfiante qu’elle ne peut se produire qu’une fois en plusieurs millénaires. On dit souvent que, si un million de singes tapaient sur un clavier pendant un million d’années, il en sortirait les œuvres complètes de Shakespeare. Rien n’est moins sûr.

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trad. Jean-Claude Carrière
24/04/2014 101 pages 15,00 €
Scannez le code barre 9782021139433
9782021139433
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