#Essais

La Régence absolue. Philippe d'Orléans et la polysynodie (1715-1718)

Alexandre Dupilet

Au matin du 2 septembre 1715, alors qu'il vient d'être désigné régent par le Parlement de Paris, Philippe d'Orléans annonce qu'il entend modifier la forme du dispositif gouvernemental prévu, dans son testament, par Louis XIV. Celui-ci souhaitait que, pendant la minorité du roi (Louis XV est encore un enfant), un conseil unique, le Conseil de Régence, préside aux destinées du royaume, assisté par des ministres et des secrétaires d'Etat. Philippe d'Orléans estime en revanche qu'ayant besoin des lumières de chacun, il est plus opportun de créer plusieurs conseils, chargés d'assister dans sa lourde tâche le Conseil de Régence. Quelques semaines plus tard, sept conseils, placés à la tête des départements ministériels, remplacent les secrétaires d'Etat, pierre angulaire du système institutionnel louis-quatorzien. Et c'est ainsi que durant trois ans, de 1715 à 1718, la France fut gouvernée par cette administration, qui marqua le retour aux affaires de la noblesse d'épée. Elle passera à la postérité sous le nom de "polysynodie" (gouvernement par conseils). A l'image de la Régence de Philippe d'Orléans, souvent réduite à une époque de libertinage, "où l'on faisait tout sauf pénitence" s'il faut en croire Voltaire, la polysynodie, tantôt qualifiée de "piège à nobles", tantôt présentée comme une vaine réforme qui ne suscita que désordre dans l'administration, a souvent été dénigrée : une véritable "pétaudière" selon Saint-Simon ! Mais du fonctionnement réel de ce gouvernement, nous n'avons qu'une connaissance très vague. C'est ce vide historiographique que cette étude, totalement novatrice, comble, en démontant, pour la première fois, la mécanique de cet édifice institutionnel ; en revenant aussi sur les circonstances de sa création et sur les véritables motifs de sa suppression. Avec le Régent, avec le duc de Noailles, avec le duc de Saint-Simon ou encore avec le comte de Toulouse, nous assistons aux séances des conseils ; nous suivons pas à pas le cheminement des dossiers, depuis les provinces du royaume jusqu'à la table du Conseil de Régence présidé par Philippe d'Orléans ; nous pénétrons dans le secret des cabinets de travail ; nous découvrons les taches réservées aux commis de l'administration, tandis que se dévoilent les multiples discussions et intrigues qui agitent la Cour... A la fois réflexion sur les pratiques gouvernementales, essai sur la vie politique des premières années de la Régence, une Régence absolue bien éloignée des clichés qui lui sont souvent accolés, ce livre, fondé sur un travail d'archives jusqu'à présent jamais étudiées, jette un éclairage neuf et inattendu sur les arcanes et les "mystères" de l'Etat moderne et contribue à l'intelligence de l'ancienne royauté, en ces années décisives qui séparent le Siècle de Louis XIV du Siècle des Lumières.

Par Alexandre Dupilet
Chez Champ Vallon Editions

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Genre

Histoire de France

Comme suspendu entre l’imposant « Siècle de Louis XIV » qui s’achève et le non moins imposant siècle des Lumières qui commence, l’éphémère épisode de la Régence (1715-1723), ce « mélange informe de faiblesse et d’autorité » que dénonçait Montesquieu dans ses Pensées (n° 1613), est le parent pauvre de l’histoire de l’ancienne France, car jusqu’à présent, jusqu’à Alexandre Dupilet précisément, nous ne disposions d’aucune analyse portant sur ce que fut réellement l’expérience de la polysynodie, ce gouvernement par conseils qui singularise le « règne » de Philippe d’Orléans pendant la minorité de Louis XV.

Plus globalement, concernant l’histoire même de l’État royal, de la Renaissance au siècle des Lumières, nulle étude n’avait tenté d’établir un état des lieux de ce qui paraît la chose la plus évidente, que l’on croyait, que l’on devrait connaître, depuis longtemps : tout simplement, le fonctionnement de la monarchie, l’activité, au quotidien, des conseils du roi, l’anatomie de la machine du pouvoir, l’analyse des rouages et des mécanismes de la gestion administrative du royaume, leur rapport à la politique, aux aléas des événements.

C’est tout cela – et bien plus encore – que ce livre, résolument novateur, apporte.

 

Cette étude – et ce n’est pas le moindre de ses intérêts – est menée sans aucun a priori téléologique. Car une image noire et sulfureuse, depuis longtemps, est attachée à tout ce qui touche à la Régence, cette Régence libertine et insouciante, à l’image des petits soupers du Palais Royal, en ce temps « d’aimable Régence » où, suivant des vers du jeune Voltaire, « l’on faisait tout sauf pénitence », comme pour conjurer les tristesses et les malheurs des épuisantes années de guerre et de misère, en même temps que l’ennui de la cour dévote et austère du Versailles fin de règne. Mais, ainsi que le montre Alexandre Dupilet, être libertin dans la sphère privée n’est nullement contradictoire avec la défense des grands principes de la monarchie absolue.

Il s’agit donc ici d’analyser, sans préjugé, la polysynodie pour elle-même, de la suivre, au jour le jour, dans la banalité des affaires courantes, avec le désir de pénétrer au sein même des conseils, au cœur même de la machine de l’État. Et c’est là, je le souligne encore, une réelle nouveauté, au-delà même de cette courte mais effervescente période de la Régence (« tout un siècle en huit années », a écrit Michelet), car l’exercice concret du pouvoir, au sommet de l’État, a été, jusqu’ici, très peu abordé, avant et après Philippe d’Orléans (1674-1723). Même si notre méconnaissance du fonctionnement réel de la monarchie tend à se dissiper : plusieurs études récentes sont précisément centrées sur ce que Tocqueville, dans L’Ancien Régime et la Révolution(1856), a appelé « la vraie pratique des institutions » : Thierry Sarmant s’est attaché à l’étude de la surintendance des bâtiments au temps de Louvois, Mathieu Stoll au Contrôle général des finances sous le règne de Louis XIV, Emmanuel Pénicaut à Chamillart, Charles Frostin aux Pontchartrain. Et une première synthèse vient, pour le règne de Louis XIV, de lever une part du mystère qui recouvrait le secret des conseils, le « dur métier » de roi, le travail, au quotidien, du souverain avec ses ministres, l’activité des départements et des bureaux ministériels, les rapports entre les ministres, la culture administrative en voie de formation. Elle dévoile la révolution silencieuse qui s’est opérée pendant le long règne du Roi Soleil : au-delà des clientèles, des réseaux de fidélités et des « lobbys », l’émergence d’une haute administration de mieux en mieux structurée, un « pouvoir administratif » et bureaucratique, tout à la fois civil et militaire, tendant à devenir indépendant et autonome par rapport à ceux qui le dirigent1.

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06/04/2011 436 pages 28,50 €
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