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Histoire de France
Comme suspendu entre l’imposant « Siècle de Louis XIV » qui s’achève et le non moins imposant siècle des Lumières qui commence, l’éphémère épisode de la Régence (1715-1723), ce « mélange informe de faiblesse et d’autorité » que dénonçait Montesquieu dans ses Pensées (n° 1613), est le parent pauvre de l’histoire de l’ancienne France, car jusqu’à présent, jusqu’à Alexandre Dupilet précisément, nous ne disposions d’aucune analyse portant sur ce que fut réellement l’expérience de la polysynodie, ce gouvernement par conseils qui singularise le « règne » de Philippe d’Orléans pendant la minorité de Louis XV.
Plus globalement, concernant l’histoire même de l’État royal, de la Renaissance au siècle des Lumières, nulle étude n’avait tenté d’établir un état des lieux de ce qui paraît la chose la plus évidente, que l’on croyait, que l’on devrait connaître, depuis longtemps : tout simplement, le fonctionnement de la monarchie, l’activité, au quotidien, des conseils du roi, l’anatomie de la machine du pouvoir, l’analyse des rouages et des mécanismes de la gestion administrative du royaume, leur rapport à la politique, aux aléas des événements.
C’est tout cela – et bien plus encore – que ce livre, résolument novateur, apporte.
Cette étude – et ce n’est pas le moindre de ses intérêts – est menée sans aucun a priori téléologique. Car une image noire et sulfureuse, depuis longtemps, est attachée à tout ce qui touche à la Régence, cette Régence libertine et insouciante, à l’image des petits soupers du Palais Royal, en ce temps « d’aimable Régence » où, suivant des vers du jeune Voltaire, « l’on faisait tout sauf pénitence », comme pour conjurer les tristesses et les malheurs des épuisantes années de guerre et de misère, en même temps que l’ennui de la cour dévote et austère du Versailles fin de règne. Mais, ainsi que le montre Alexandre Dupilet, être libertin dans la sphère privée n’est nullement contradictoire avec la défense des grands principes de la monarchie absolue.
Il s’agit donc ici d’analyser, sans préjugé, la polysynodie pour elle-même, de la suivre, au jour le jour, dans la banalité des affaires courantes, avec le désir de pénétrer au sein même des conseils, au cœur même de la machine de l’État. Et c’est là, je le souligne encore, une réelle nouveauté, au-delà même de cette courte mais effervescente période de la Régence (« tout un siècle en huit années », a écrit Michelet), car l’exercice concret du pouvoir, au sommet de l’État, a été, jusqu’ici, très peu abordé, avant et après Philippe d’Orléans (1674-1723). Même si notre méconnaissance du fonctionnement réel de la monarchie tend à se dissiper : plusieurs études récentes sont précisément centrées sur ce que Tocqueville, dans L’Ancien Régime et la Révolution(1856), a appelé « la vraie pratique des institutions » : Thierry Sarmant s’est attaché à l’étude de la surintendance des bâtiments au temps de Louvois, Mathieu Stoll au Contrôle général des finances sous le règne de Louis XIV, Emmanuel Pénicaut à Chamillart, Charles Frostin aux Pontchartrain. Et une première synthèse vient, pour le règne de Louis XIV, de lever une part du mystère qui recouvrait le secret des conseils, le « dur métier » de roi, le travail, au quotidien, du souverain avec ses ministres, l’activité des départements et des bureaux ministériels, les rapports entre les ministres, la culture administrative en voie de formation. Elle dévoile la révolution silencieuse qui s’est opérée pendant le long règne du Roi Soleil : au-delà des clientèles, des réseaux de fidélités et des « lobbys », l’émergence d’une haute administration de mieux en mieux structurée, un « pouvoir administratif » et bureaucratique, tout à la fois civil et militaire, tendant à devenir indépendant et autonome par rapport à ceux qui le dirigent1.
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