#Essais

La traversée des Alpes. Essai d'histoire marchée

Antoine de Baecque

Le 6 septembre 2009, Antoine de Baecque se lance sur le GR5, un sac de dix-sept kilos sur le dos, pour un mois de randonnée solitaire à travers les Alpes, depuis le lac Léman jusqu'à la Méditerranée : six cent cinquante kilomètres, trente mille mètres de dénivelée, sept à neuf heures de marche quotidienne. De cette aventure, il a tiré un exercice d'histoire expérimentale mêlant études savantes sur les Alpes et l'aménagement de la montagne et recherche personnelle, "par les pieds", attentive au corps. L'auteur raconte la genèse du GR5, tantôt chemin de pèlerinage, tantôt sentier commercial ou de contrebande, draille de la transhumance ou voie militaire. Il montre comment il s'est constitué en emblème, remontant à ses pionniers randonneurs, suivant ses «aménageurs», proposant une typologie de ses usages et une sociologie de ses usagers. De plus, il fait le récit au jour le jour de cette "grande traversée des Alpes" qu'il a désiré éprouver lui-même. Il résulte de cette expérience une forme originale d'écriture de l'histoire, un essai d'histoire marchée. Née de l'avancée du randonneur, celle-ci rend compte de la progression le long d'un sentier et, dans la foulée, plonge dans l'histoire même de ce sentier, les strates multiséculaires laissées par les circulations alpines passées. Ainsi permet-elle au lecteur lui-même de suivre, au rythme de la marche, le chemin qui va dans la montagne.

Par Antoine de Baecque
Chez Editions Gallimard

0 Réactions |

Genre

Récits de voyage

 

 

 

 

 

 

 

UNE HISTOIRE MARCHÉE

 

 

Cet apaisement qui nous vient dans l’amitié d’une montagne.

Jean GIONO

 

 

Du laSaint-Gingolphc Léman à la Méditerranée, de Saint-Gingolph à Nice, le marcheur endurant peut suivre sur plus de six cent cinquante kilomètres1 un sentier de grande randonnée nommé GR5. Ce chemin nord-sud (ou sud-nord), également appelé depuis les années 1970 « Grande Traversée des Alpes », s’est imposé auprès de milliers de marcheurs chaque année comme la voie classique par excellence de la randonnée alpine. Il parcourt plusieurs massifs, le Chablais, le Faucigny, le Haut-Giffre, le Mont-Blanc, le Beaufortain, la Vanoise, le Briançonnais, le Queyras, la Haute-Ubaye, la Haute-Tinée, la Haute-Vésubie, la Haute-Roya, l’Authion, frôle deux pays voisins, la Suisse et l’Italie, traverse deux parcs nationaux, la Vanoise, le Mercantour, et cinq départements, la Haute-Savoie, la Savoie, les Hautes-Alpes, les Alpes-de-Haute-Provence et les Alpes-Maritimes. On y affronte, en vingt-cinq à quarante jours de marche, quelque trente mille mètres de dénivelés positifs répartis en une trentaine de grands cols, soit quatre fois la hauteur de l’Everest. Cependant, à l’exception de quelques rares passages délicats, surtout en début d’été quand des névés de neige encombrent encore le sentier, ce chemin ne présente pas de difficulté majeure, bien balisé de marques peintes en rouge et blanc, pourvu de gîtes et de refuges permettant des étapes relativement confortables. Quelques guides, des descriptions, des récits, des articles, en retracent les étapes, en décrivent les paysages, en égrènent les cols, fournissant les renseignements pratiques. Le GR5 est la colonne vertébrale des sentiers des Alpes.

Ce livre reconstitue et raconte l’histoire de ce chemin. Il montre d’abord pourquoi et comment le GR5 s’est constitué en emblème de la randonnée en France depuis la fin du XIXe siècle. Il souligne également son aspect de mosaïque historique : ce sentier classique, tel qu’il a été balisé au début des années 1950, n’est finalement qu’une re-création, unifiant et réinventant des traditions marcheuses qui regardent vers un passé multiséculaire : tantôt chemin de pèlerinage, tantôt sentier commercial ou de contrebande, draille de la transhumance ovine ou voie militaire menant de citadelle vertigineuse en forteresse d’altitude. Le GR5, dans ces passages-là, n’est pas seulement un objet d’histoire, il devient un vecteur d’histoire, permettant de plonger dans les strates passées des circulations pédestres alpines. Le grand géographe de terrain qu’était Paul Vidal de La Blache, considérant les sentiers des Alpes comme les sentinelles de l’histoire du massif, leur a rendu hommage en 1902 : « Sans doute de belles routes carrossables traversent nos Alpes, mais, dans les mailles passablement espacées de ce réseau, quel rôle continuent de jouer, pour les déplacements fréquents qu’exige la vie montagnarde, ces nombreux sentiers muletiers, que ne rebute aucune pente, qui hardiment couronnent les hauteurs et parfois bordent les précipices ! Entre les villages perdus vers la limite des cultures, entre ces cultures et les pâturages voisins des cimes, ce sont eux qui assurent les communications. On y peut juger des services que rendaient les modestes chemins d’autrefois. Si grimpants et raboteux qu’ils paraissent à nos pieds de citadins, on ne peut les gravir sans éprouver quelque sentiment d’admiration pour l’industrie de ces montagnards qui, par eux-mêmes, ont su créer à leur usage ce multiple réseau2. » Ici, l’histoire suit pas à pas le chemin qui va dans la montagne.

Commenter ce livre

 

20/03/2014 432 pages 24,50 €
Scannez le code barre 9782070144426
9782070144426
© Notice établie par ORB
plus d'informations