I
Bouffon cabot
Je n’étais pas particulièrement destiné à la prison. À l’époque, je sillonnais tous les week-ends au volant de ma petite camionnette les routes sinueuses de l’Ardèche ou des Cévennes ; parfois, j’enquillais quelques heures d’autoroute ou de train pour m’aventurer de l’autre côté du Rhône dans la vallée lyonnaise et les monts du Forez.J’accostais à des terres lointaines, accueilli par un café brûlant ou un solide coup de pivois local dans des salles des fêtes éclairées au néon, les Maisons du Peuple surchauffées où les chaises manquaient, des bergeries retapées en ciné-clubs, des bibliothèques de patelins si petits que leur nom sur la carte masquait leur position, des bastringues pénombreux où l’on devait gueuler plus fort que les picolos pour se faire entendre sur la scène, des foyers ruraux, des apiculteurs, des caves à pinard, des baraques Algeco… À chaque fois, je déboulais dans ces coins improbables pour y prodiguer mes leçons de philosophie foraine, claironnant une gouaille fleurie sur l’estrade en déballant l’article.
Mon public n’était guère celui des cafés-philo pour intellectuels urbains et semi-professeurs se pavanant en philosophes, sortant leur science comme on sort sa bite dans les cabinets de l’école pour montrer qui a la plus longue. Non, c’était surtout un public rural, souvent peu diplômé, mais avec un appétit de pensée et une réelle soif de culture. C’étaient des pékins ordinaires, le populo réel et digne d’estime, invisible aux médias, cogitant à la va-comme-je-te-pousse, épaté par les univers philosophiques que je déployais pour eux et heureux de les explorer avec moi.
Un beau jour, à la sortie de mon boniment, dans une ancienne chambrée de nonnes reconvertie en tripot de village, Dominique vint m’entreprendre. Je savais qu’elle bossait plus ou moins au SPIP, le Service pénitentiaire d’insertion et de probation, le truc qui fait dans le social en prison, comme le porc à l’ananas dans le sucré au milieu du salé. Ou alors elle bossait à la PJJ, la Protection judiciaire de la jeunesse, je sais plus. Comme j’étais d’humeur jouasse, je joue au mec pris la main dans le sac
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Bouffon cabot
Je n’étais pas particulièrement destiné à la prison. À l’époque, je sillonnais tous les week-ends au volant de ma petite camionnette les routes sinueuses de l’Ardèche ou des Cévennes ; parfois, j’enquillais quelques heures d’autoroute ou de train pour m’aventurer de l’autre côté du Rhône dans la vallée lyonnaise et les monts du Forez.J’accostais à des terres lointaines, accueilli par un café brûlant ou un solide coup de pivois local dans des salles des fêtes éclairées au néon, les Maisons du Peuple surchauffées où les chaises manquaient, des bergeries retapées en ciné-clubs, des bibliothèques de patelins si petits que leur nom sur la carte masquait leur position, des bastringues pénombreux où l’on devait gueuler plus fort que les picolos pour se faire entendre sur la scène, des foyers ruraux, des apiculteurs, des caves à pinard, des baraques Algeco… À chaque fois, je déboulais dans ces coins improbables pour y prodiguer mes leçons de philosophie foraine, claironnant une gouaille fleurie sur l’estrade en déballant l’article.
Extraits
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