Editeur
Genre
Littérature française
Chapitre 1
L’angélus du matin sonna à la cathédrale. Jeanne ouvrit un œil. À côté d’elle Marie dormait encore, un bras protecteur posé sur le berceau de Noé. Debout près de l’autre lit, Marguerite nouait déjà sa camisole avec une grimace de dégoût. La fine toile de lin, raidie par des semaines de sueur, devait gratter sa peau délicate. Elle jeta un regard vers le coffre qui séparait les deux lits. Jeanne comprit que sa cousine mourait d’envie de mettre le linge du dimanche.
« Ne fais pas ça », dit-elle à voix basse. « Si ta mère s’en aperçoit… Il n’y a plus que quinze jours avant la lessive. » Marguerite sourit. Dans quinze jours, le linge redeviendrait doux comme de la soie.
Dans la grand’ salle, Catherine s’affairait près de la crémaillère. Elle tendit à sa fille et à sa nièce deux écuelles de soupe brûlante.
« On n’attend pas le père ? » demanda Jeanne.
« Il est déjà sorti, avec Abraham. On est samedi. »
Oui, bien sûr. Tous les samedis, le père de Jeanne et celui de Marguerite rendaient visite aux paysans des environs. Ils recueillaient la laine qui avait été filée dans les masures pendant la semaine. Jeanne soupira de soulagement. L’oncle Abraham était très pieux et bien vu des familles huguenotes de Poitiers, mais sa piété faisait peser une chape austère sur la maisonnée Devantier.
« Dépêchez-vous de déjeuner », dit Catherine. « Nous avons beaucoup à faire. Il y a une poule à plumer pour demain. Et je dois aller à la manufacture. Gabriel a oublié de rapporter les livres de comptes. »
« Je peux y aller ! » dit Jeanne avec empressement. Elle n’avait pas souvent la permission d’aller en ville.
« Tu sais bien que ton père ne veut pas que tu sortes seule », dit Catherine.
« Marguerite peut m’accompagner. »
Jeanne jeta un regard impérieux à sa cousine, qui n’osa pas protester.
La manufacture de drap des frères Devantier était à l’autre bout de Poitiers. Il leur fallait traverser toute la ville. Par chance, c´était jour de foire. La place de la cathédrale était déjà pleine. Assises sur de simples trépieds, les paysannes vendaient leurs légumes et leurs fromages à la criée. Plus loin à droite, les mercières avaient installé leurs beaux étals.
Marguerite, effarouchée, s’agrippait à Jeanne. La place bourdonnait de conversations, d’invectives et de rires. Jeanne respirait les bruits et la cohue à pleins poumons. C’est ici, parmi les valets mal embouchés et les commères effrontées, qu’était la vraie vie.
Une mercière s’adressa à Marguerite :
« Et pour la belle demoiselle, qu’est-ce que ce sera ? Ce foulard couleur ivoire, qui va si bien à vos yeux bleus… Ou bien ce col de dentelles, parfait pour la messe du dimanche ? »
Jeanne allait protester que, Dieu merci, les huguenots n’allaient pas à la messe, quand un jeune homme s’approcha d’elle. C’était Pierre Delaurent, le fiancé de Marguerite.
« Bien le bonjour, mes sœurs. Marguerite, me permettez-vous de vous offrir ce foulard ? »
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