#Roman étranger

Le jardin de Rousseau

Ann Charney

Claire, brillante photographe montréalaise et son mari Adrian, historien d'art spécialiste des jardins, se retrouvent à Paris pour quelques mois. Tandis qu'Adrian se consacre à ses recherches, une ombre plane sur la quiétude de Claire. À plusieurs reprises lors de ses pérégrinations dans la ville des Lumières, des crises d'angoisse l'assaillent, liées à un point obscur de son passé. Peu avant son accident mortel, Dolly, sa mère, est revenue transfigurée d'un séjour en France, incapable de poursuivre son travail de sculpteure. Claire s'interroge : serait-elle victime d'une névrose héréditaire ou Dolly a-t-elle vécu un événement terrible, gardé secret, refoulé par Claire, et qui la fragilise ? Alors qu'elle attend Adrian au parc des Buttes-Chaumont, Claire feuillette la correspondance de Rousseau. Il lui revient en mémoire que le philosophe a influencé toute son enfance : sa mère, inspirée par l'exaltation rousseauiste de la nature, le vénérait. Dès lors, l'œuvre de Jean-Jacques lui sert de guide dans l'univers de Dolly, au cœur d'une nature fertile et luxuriante, où elle finira par trouver sa propre voie. Dans cet éloge du bonheur et de l'amitié qu'elle qualifie de "lettre d'amour à la France", Ann Charney évoque les êtres et leurs comportements aussi finement qu'elle peint les jardins à la française. Tout en nous renvoyant à nos propres jardins secrets.

Par Ann Charney
Chez Sabine Wespieser Editeur

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Genre

Littérature étrangère

Un matin frisquet de mars dans le parc des Buttes-Chaumont. Claire Symons, qui attendait son mari, éprouvait pour cet endroit plus qu’un intérêt touristique éphémère. Ces quelques hectares de verdure au cœur de Paris étaient liés à un souvenir d’enfance empreint d’un sentiment de joie irrépressible.

Claire avait besoin de tous les souvenirs radieux qu’elle pou- vait retrouver. Depuis peu, des crises d’angoisse soudaines l’assaillaient dans les circonstances les plus ordinaires. Photographe réputée, Claire avait même été forcée d’abandonner le travail au milieu d’une prise - incapable de justifier son comportement auprès de ceux qui l’entouraient. Elle aurait pu en rire si cela ne l’avait pas autant effrayée. Une femme accomplie fuyant comme un chat craintif, terrorisé par quelque chose d’invisible.

Aussi était-elle venue ici pour retrouver le lac où les enfants faisaient voguer leurs petits bateaux. Le souvenir de cette scène innocente, réconfortante, lui revenait à l’esprit dès qu’elle se sentait mal. L’eau calme et les bateaux qui glissaient doucement à la surface du bassin parvenaient toujours à l’apaiser. 

Claire n’avait pas plus de cinq ou six ans la première fois que sa mère, Dolly, l’avait emmenée à Paris. Elle n’était pas certaine que ce souvenir était lié à cette première visite ou aux suivantes. Dolly, une sculpteure de talent, enseignait l’art dans un collège de Montréal et allait régulièrement à Paris pour rendre visite à sa grande amie Marta et voir des expositions. Claire n’était plus certaine que son souvenir provenait d’une promenade aux Buttes-Chaumont. Ce n’était qu’une impression. Elle se rappelait un terrain accidenté hérissé de promontoires escarpés et traversé d’allées densément boisées qui rendaient improbable que la scène ait eu lieu aux Tuileries ou au Luxembourg, des jardins plus ordonnés. 

Enfant déjà, Claire jouissait d’une mémoire visuelle excep- tionnelle. Sa capacité à mémoriser des repères spaciaux l’aidait à ne pas se perdre dans les villes étrangères, un don utile pour quelqu’un fréquemment amené à voyager. Son sens de l’orientation impressionna Adrian quand ils se rencontrèrent pour la première fois. Il ne connaissait pas beaucoup de femmes dont la capacité à s’orienter surpassait la sienne, lui avait-il dit, admiratif. 

Déambulant le long des sentiers rustiques des Buttes- Chaumont, Claire se conforta dans l’idée qu’elle était au bon endroit. Elle aurait pu néanmoins ne pas retrouver le lac, si elle n’avait suivi un chemin raide jusqu’au point culminant d’où l’on pouvait voir clairement les environs. De là-haut elle repéra l’eau, miroitante comme dans son souvenir, et les enfants jouant tout autour. Elle était trop loin pour distinguer les petits voiliers mais elle savait qu’ils étaient là. 

Elle se hâta vers le bassin en suivant un sentier raide et sinueux, se dirigeant vers l’eau qui apparaissait et dispa- raissait au milieu des arbres comme un mirage longtemps désiré, jusqu’à ce qu’elle arrive au bord. Contemplant l’étendue, plus petite et plus enclavée que dans sa mémoire, elle sentit la pré- sence du passé l’envelopper comme une douce couverture fami- lière. 

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trad. Stéphane Camille
10/06/2004 300 pages 22,30 €
Scannez le code barre 9782848050218
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