Editeur
Genre
Littérature française
Jeudi 5 septembre
Clara dit qu’elle se chargerait d’acheter les fleurs. Ce sont les tulipes qu’il aime, ai-je lancé au moment où les portes du métro se fermaient. Elle m’a fait un signe de la main.
Ce soir, nous avons fêté l’anniversaire d’Éric. À trente-six ans, mon colocataire est amoureux. Pour la première fois de sa vie, dit-il. De Jérôme, dont j’ai trouvé pour la première fois de ma vie une chemise dans le linge sale.
J’ai ouvert la porte sur une brassée de roses. Clara. Avec, empaquetés dans un papier de soie, deux romans de la mai- son d’édition dans laquelle elle travaille.
Alors, comment se porte l’édition française ? a demandé Éric tout en feuilletant, la cuisse collée contre celle de Jérôme, les livres offerts par ma cousine.
Bof, pas terrible. Ce qui marche bien en ce moment, a-t-elle précisé, c’est la chick lit. Il faudrait faire de la chick lit à la française.
C’est quoi, la chick lit ? ai-je demandé.
Une littérature de nanas, chick, chicken, poulette, le genre Bridget Jones. Le personnage principal est une célibataire autour de la trentaine, plutôt jolie et talentueuse mais dépri- mée, qui n’a pas d’homme dans sa vie, etc. etc. Tu devrais essayer Yaël. Tu as le profil.
De celle qui écrit l’histoire ou du personnage ?
Jeudi 12 septembre
J’ai donc acheté Le Journal de Bridget Jones, mais pas chez mon libraire (qui est charmant). Chez l’autre que je ne connais pas, à qui j’ai demandé un papier cadeau. Qu’il ne croie pas que c’est pour moi. Je l’ai lu. Et l’auteur, Helen Fielding, a lu Jane Austen : tout le dispositif amoureux de Bridget Jones est calqué sur celui d’Orgueil et Préjugés. Elizabeth Bennet préférait le séduisant Wickham à l’orgueilleux Darcy, avant de découvrir la malhonnêteté de l’un et la noblesse de caractère de l’autre. Eh bien Bridget, c’est pareil, elle est d’abord tentée par Daniel Cleaver qui se révèle odieux à l’usage, avant de percevoir combien l’attitude raide de Mark Darcy dissimule ses véri- tables qualités. J’ai l’air de faire des rapprochements auda- cieux mais la référence est dans le texte (Darcy = Darcy).
Puis j’ai lu Devil Wears Prada (Le diable s’habille en Prada), que m’avait aussi conseillé Clara. Presque pas d’histoire d’amour cette fois-ci, mais un job d’assistante de la rédac- trice en chef d’un journal de mode, l’auteur ayant elle- même été l’assistante d’Anna Wintour, rédactrice en chef de Vogue.
Déjà lassée, j’ai achevé deux autres spécimens du genre pour en déduire quelques règles :
Règle no 1 : Ne pas avoir peur de parler de transpiration et de poils sous les bras.
Règle no 2 : Situer le roman dans un milieu glamour ; je ne connais ni la mode ni le cinéma et je ne crois pas que Clara divulguera pour moi les secrets de l’édition. Ne me reste plus que l’université dont les tours et les détours n’ont plus de secret pour moi. C’est glamour, l’univer- sité ?
Extraits
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