#Roman francophone

Le journal de Yaël Koppman

Marianne Rubinstein

Si Yaël Koppman n'avait pas croisé, à la faveur de ses travaux universitaires, la figure de John Maynard Keynes, sa vie serait probablement restée celle qu'avec un brin de complaisance et beaucoup de dérision, elle dépeint dans son journal intime : la vie d'une trentenaire désœuvrée, cultivant une relation conflictuelle avec sa mère, vivant en colocation avec son meilleur ami, collectionnant les hommes et s'en remettant en général à sa brillante cousine, Clara, éditrice de son métier. Quand cette dernière lui suggère de se désennuyer en écrivant de la Chick Lit, de la littérature de poulette - genre qui lui conviendrait parfaitement, glisse la perfide -, Yaël est piquée au vif : elle écrira, oui, mais sur la filleule de Keynes, son économiste préféré, qui était aussi la nièce de Virginia Woolf, son écrivain préféré. Bien consciente que la figure d'Angelica Garnett, puisque c'est d'elle qu'il s'agit, lui tend un étrange miroir, elle se lance à corps perdu dans des recherches sur cette petite fille qui a grandi solitaire parmi les grandes figures de Bloomsbury, qui a vécu bien malgré elle la vie quasi communautaire de ces fantasques intellectuels des années vingt et assisté à leurs expériences sexuelles. À travers la vie d'Angelica, c'est bientôt la sienne propre que contemple Yaël, celle de ces enfants des années soixante-dix curieusement frustrés que leurs parents n'aient pas renoncé à leurs utopies. Le constat est acide et sans illusion. Le Journal de Yaël Koppman devient alors, sous couvert d'un aimable récit autobiographique, le roman au vitriol d'une génération qui, si l'on en croit l'exemple de Yaël, finira par trouver son équilibre.

Par Marianne Rubinstein
Chez Sabine Wespieser Editeur

0 Réactions |

Genre

Littérature française

Jeudi 5 septembre

Clara dit quelle se chargerait d’acheter les fleurs. Ce sont les tulipes qu’il aime, ai-je lancé au moment où les portes du métro se fermaient. Elle m’a fait un signe de la main.

Ce soir, nous avons fêté l’anniversaire d’Éric. À trente-six ans, mon colocataire est amoureux. Pour la première fois de sa vie, dit-il. De Jérôme, dont j’ai trouvé pour la première fois de ma vie une chemise dans le linge sale.

J’ai ouvert la porte sur une brassée de roses. Clara. Avec, empaquetés dans un papier de soie, deux romans de la mai- son d’édition dans laquelle elle travaille.

Alors, comment se porte l’édition française ? a demandé Éric tout en feuilletant, la cuisse collée contre celle de Jérôme, les livres offerts par ma cousine.

Bof, pas terrible. Ce qui marche bien en ce moment, a-t-elle précisé, c’est la chick lit. Il faudrait faire de la chick lit à la française. 

C’est quoi, la chick lit ? ai-je demandé. 

Une littérature de nanas, chick, chicken, poulette, le genre Bridget Jones. Le personnage principal est une célibataire autour de la trentaine, plutôt jolie et talentueuse mais dépri- mée, qui n’a pas d’homme dans sa vie, etc. etc. Tu devrais essayer Yaël. Tu as le profil. 

De celle qui écrit l’histoire ou du personnage ? 

 

 

Jeudi 12 septembre 

J’ai donc acheté Le Journal de Bridget Jones, mais pas chez mon libraire (qui est charmant). Chez l’autre que je ne connais pas, à qui j’ai demandé un papier cadeau. Qu’il ne croie pas que c’est pour moi. Je l’ai lu. Et l’auteur, Helen Fielding, a lu Jane Austen : tout le dispositif amoureux de Bridget Jones est calqué sur celui d’Orgueil et Préjugés. Elizabeth Bennet préférait le séduisant Wickham à l’orgueilleux Darcy, avant de découvrir la malhonnêteté de l’un et la noblesse de caractère de l’autre. Eh bien Bridget, c’est pareil, elle est d’abord tentée par Daniel Cleaver qui se révèle odieux à l’usage, avant de percevoir combien l’attitude raide de Mark Darcy dissimule ses véri- tables qualités. J’ai l’air de faire des rapprochements auda- cieux mais la référence est dans le texte (Darcy = Darcy). 

Puis j’ai lu Devil Wears Prada (Le diable s’habille en Prada), que m’avait aussi conseillé Clara. Presque pas d’histoire d’amour cette fois-ci, mais un job d’assistante de la rédac- trice en chef d’un journal de mode, l’auteur ayant elle- même été l’assistante d’Anna Wintour, rédactrice en chef de Vogue. 

Déjà lassée, j’ai achevé deux autres spécimens du genre pour en déduire quelques règles : 

Règle no 1 : Ne pas avoir peur de parler de transpiration et de poils sous les bras. 

Règle no 2 : Situer le roman dans un milieu glamour ; je ne connais ni la mode ni le cinéma et je ne crois pas que Clara divulguera pour moi les secrets de l’édition. Ne me reste plus que l’université dont les tours et les détours n’ont plus de secret pour moi. C’est glamour, l’univer- sité ? 

Commenter ce livre

 

23/08/2007 217 pages 19,25 €
Scannez le code barre 9782848050553
9782848050553
© Notice établie par ORB
plus d'informations