Le lien invisible

Letellier Michèle

Que se passe-t-il, ce matin-là, sur la lande bretonne, quand Alice, 6 ans, se jette sur sa mère, au volant, effrayée par un camion, provoquant leur accident ? Pourtant, la route est déserte. Quel rapport a-t-elle avec cette petite fille, qui lui ressemble comme deux gouttes d'eau, victime, au même moment, d'un camion, sur une autoroute italienne ? Quel est ce lien invisible qui semble les relier ? Quel est le mystère de la naissance d'Alice, de ses maux imaginaires, de ce manque perpétuel d'un double ? "Il y a parfois des choses invisibles, tu sais que ça existe, mais tu ne les vois pas". L'explication est-elle paranormale ou génétique ? La vieille Maura préfère se réfugier dans ses superstitions ancestrales. "Les mouettes volent bas, ce soir. L'Ankou cherche sa proie".

Par Letellier Michèle
Chez Les Editions du Net

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Genre

Littérature française

Chapitre 1

 

L’air de Casta Diva envahit l’Opéra. Fiona ferme les yeux et se laisse submerger par l’émotion. Est-ce la voix superbe de la soprano ? La force de Bellini ? Est-ce sa dispute avec Antoine, son sentiment de culpabilité ? Fiona sent les larmes couler sur son visage, et ce nœud d’angoisse lui peser au creux de l’estomac. Elle se sent si seule, abandonnée au milieu de cette salle pleine. Les applaudissements la transpercent comme autant de flèches d’amour brisées. Elle a tout raté. Elle n’a pas su retenir Antoine, elle n’a pas su lui donner un enfant. Et, ce soir, il part pour l’Indonésie, lui préférant un volcan ! Sa passion des éruptions volcaniques dépasse son amour pour elle, il la quitte au moment où elle a le plus besoin de lui. Elle lui en veut, elle s’en veut, elle en veut à ce volcan qui s’est réveillé, là-bas, sur une île indonésienne, à des milliers de kilomètres et vient de lui voler l’homme qu’elle aime. Elle est, maintenant, perdue sur cette grande place de la Comédie, devant l’Opéra, bousculée par les spectateurs qui sortent de la représentation. 

Elle presse le pas dans les ruelles pavées du Vieux Lyon. Elle peut encore arriver à temps, trouver les mots pour le retenir, au moins ne pas le laisser partir sur ces paroles définitives, sous forme d’ultimatum. Le souffle lyrique de Norma l’accompagne. Elle prend le raccourci par l’escalier, traverse par la traboule, arrive, essoufflée, au coin de la rue. Au numéro 9, la fenêtre de leur appartement est éclairée. Fiona reprend espoir. Il a peut-être renoncé, il l’attend. Un taxi la double et s’arrête devant leur immeuble. Une jeune femme brune, aux cheveux courts, en descend rapidement, s’engouffre sous le porche, pianote à l’interphone, le taxi l’attend. Fiona ralentit le pas. La fenêtre éclairée du troisième s’éteint. Fiona se fige. La jeune femme ouvre le coffre du taxi, une valise y est déjà. Antoine sort de l’immeuble, un sac de voyage sur l’épaule. Il le balance dans le coffre, près de la valise. Il échange quelques mots avec la jeune femme qui le prend par les épaules, comme pour le consoler, et ils s’installent, tous les deux, dans le taxi qui démarre. À quelques mètres, dans la pénombre, Fiona regarde partir le véhicule, anéantie. 

Au mur, deux posters : des pingouins sur une banquise et un volcan en éruption. La glace, le froid, le blanc, l’infini calme. Le feu, le chaud, le rouge, les profondeurs en ébullition. Deux univers. Deux passions qu’ils ont, chacun, essayé de faire partager à l’autre. Fiona regarde autour d’elle : un placard ouvert, vidé en partie. Une tasse de café sale sur la table. Près de la tasse, une bague de pierre noire et une carte à jouer : l’As de trèfle. Fiona laisse glisser son sac de l’épaule, en dépassent le programme de l’Opéra, et le CD de Norma qu’elle a acheté à l’entracte. 

Le CD tourne sur la platine. Fiona y a connecté son portable pour enregistrer le morceau qui l’a tant émue, ce soir. Qui lui a fait tant mal aussi. Elle veut l’écouter, l’écouter encore, comme on recherche une douleur qu’on aime bien. La voix de la soprano envahit l’espace. Fiona l’écoute, immobile, debout, impassible, toujours en manteau, sa longue écharpe autour du cou. Le chant magnifique et douloureux de la diva monte jusqu’au contre-ut… et, soudain, Fiona hurle, un cri immense, libérateur, qui se mêle à la musique qui s’amplifie. De rage, elle déchire la carte As de trèfle en plusieurs morceaux, se jette sur le poster du volcan, le frappe comme si elle frappait Antoine, le déchire de tout son poids. Puis, elle se laisse glisser à terre, serrant contre elle l’image déchiquetée du cratère, se recroqueville de douleur, alors que l’orchestre joue fortissimo.

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27/10/2014 152 pages 14,00 €
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