#Essais

Le monde moderne et la question juive

Edgar Morin

La condition juive dans l'histoire moderne exige d'être traitée dans toute sa complexité, donc sa difficulté. Je me suis attelé à cette tâche, autant pour concevoir les temps modernes dont on ne peut abstraire le ferment juif, que pour concevoir la question juive dont on ne peut abstraire la question des temps modernes. Bien que je veuille avant tout comprendre et faire comprendre, je sais que la compréhension est souvent mal comprise, et je ne peux affronter ce travail sans crainte ni tremblement. La notion de juif était claire quand elle indiquait une identité à la fois de nation, de peuple, de religion. Dès lors que les juifs ont participé à la culture et à la citoyenneté des gentils, la disjonction entre juif et gentil a masqué la jonction accomplie entre ces deux termes devenus complémentaires mais pouvant demeurer antagonistes selon les développements du moderne antisémitisme (racial) qui succède au vieil antijudaïsme (religieux). Au terme de cet essai, il a fallu considérer la tragédie provoquée par le nazisme, d'où est né l'Etat d'Israël, et où la notion de juif prend une nouvelle signification. Par malheur, l'implantation d'Israël en terre islamique a créé une nouvelle tragédie d'ampleur planétaire. E. M.

Par Edgar Morin
Chez Seuil

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Editeur

Seuil

Genre

Religion

 

 

 

 

 

Avant-propos

 

 

 

La vérité ne porte jamais préjudice à une juste cause.

GANDHI

 

Résister, c’est d’abord ne pas s’arrêter à la persécution, ni à la calomnie, ni à l’injure… C’est rester semblable à ce qu’on est jusque dans la défaite.

André CHAMSON

 

 

 

Après la parution d’un article cosigné par Danièle Sallenave, Sami Naïr et moi-même, « Israël-Palestine : le cancer », publié dans Le Monde du 4 juin 2002, l’avocat Gilles-William Goldnadel, au nom de France-Israël et de son association Avocats sans frontières, a poursuivi les auteurs de ce texte pour « apologie du terrorisme et antisémitisme ». Débouté et condamné en première instance, il a fait appel et obtenu condamnation, non pour apologie du terrorisme mais pour diffamation raciale. Le tribunal de première instance avait jugé le texte lui-même ; le tribunal d’appel a jugé deux passages extraits de leur contexte et qui, ainsi isolés, pouvaient prendre un caractère général concernant les juifs. Les auteurs de l’article se sont pourvus en cassation. Le verdict a été rendu le 12 juillet 2006. Il annule le jugement d’appel, condamne à l’amende nos poursuivants, reconnaît que les passages isolés par ceux-ci doivent être situés dans leur contexte interne (l’article) et leur contexte externe, et, répudiant un jugement grotesque, conclut définitivement l’affaire.

Suite à la condamnation en appel, de très nombreux témoignages de sympathie, d’ahurissement et d’indignation ont été adressés aux auteurs de l’article, ce qui a suscité la fureur d’égarés qui ont stigmatisé comme antisémites et racistes non seulement les auteurs mais aussi toutes les personnes leur ayant manifesté amitié et soutien. S’il est vrai que ce qui est exagéré est insignifiant, il est non moins vrai que ce qui est exagéré est très significatif d’une mentalité dérégulée1.

En ce qui me concerne, j’ai ressenti les accusations de racisme portées à mon endroit non seulement comme grotesques, mais aussi comme autant d’offenses à toute ma vie. Si une chose caractérise mon œuvre et ma pensée, c’est bien le refus de tout mépris ou de toute haine concernant un peuple ou une nation. Du reste, je suis assez fier de m’être bien gardé, pendant ma résistance à l’Occupation, de dénoncer les Allemands en tant que tels, et de les traiter de « boches », et d’avoir réservé ma condamnation au nazisme.

Je me rappelle une anecdote que me contait Jeanne, la femme de Léon Blum. Elle remonte à l’époque du Front populaire, quand son futur mari était président du Conseil. Amoureuse, elle allait alors souvent le voir entre deux séances, sur le quai, face au Palais-Bourbon. Un jour, alors qu’elle et Léon Blum conversaient, une femme élégante s’avança vers eux, s’approcha de son époux, lui cracha au visage, puis repartit. Léon Blum sortit négligemment son mouchoir et s’essuya sans interrompre un instant son propos ni faire le moindre commentaire.

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05/10/2006 263 pages 12,20 €
Scannez le code barre 9782020907453
9782020907453
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