#Roman étranger

Le premier vrai mensonge

Marina Mander

Italie, de nos jours. Agé d’une dizaine d’années, Luca vit seul avec sa mère et son chat Blu. Son père s’est "dissipé dans le brouillard" juste après sa naissance. Un matin, sa mère ne se réveille pas. Affolé à l’idée qu’on puisse l’envoyer dans un orphelinat, le petit garçon décide de taire sa mort et de continuer à mener une vie en apparence normale. Pendant de longs jours, Luca se lève, se lave, donne à manger au chat, va à l’école, fait ses devoirs et prépare ses repas. C’est son premier vrai mensonge. Son histoire est si bien ficelée qu’il finit par se convaincre qu’il n’est pas orphelin. Mais dans l’appartement, le cadavre est bien là pour témoigner de la réalité.

Par Marina Mander
Chez Presses de la Cité

0 Réactions |

Genre

Littérature étrangère

Il y a des jours

 

 

 

Il y a des jours où je me demande : qu’est-ce que ça veut dire, être orphelin à moitié ?

Vous, vous ne pouvez pas le savoir, parce que vous êtes grands.

Vous avez des parents qui ont déjà l’air de grands-parents, vous avez une maison et vous êtes libres d’entrer dans toutes les pièces de cette maison, vous avez une voiture pour vous promener, et vous pouvez oublier plein de choses. Maman dit toujours je me souviens, mais moi,

je ne suis pas si sûr qu’elle se souvienne, parce que quelquefois j’ai l’impression qu’elle ne se rappelle plus du tout comment on est à mon âge. C’est souvent comme ça avec les adultes.

Les plus insupportables, ce sont ceux qui s’emparent de tes jeux et qui ne savent même pas y jouer. Ils veulent gagner, mais ils ne savent même pas perdre, et dès que tu commences à t’amuser vraiment ils se souviennent tout à coup qu’ils ont quelque chose à faire, qu’ils ont mal garé leur voiture, ou leur enfant.

— Désolé, trésor, mais maintenant il faut que j’y aille.

Pire encore, il y a ceux qui t’ignorent et qui s’enferment dans la chambre avec maman.

— On va à côté, on doit parler de certaines choses.

Ils disent qu’ils doivent parler, mais je sais très bien qu’ils font l’amour, parce qu’ils tournent tout doucement la clé dans la serrure, qu’ils parlent très peu et que de temps en temps maman miaule et fait sssssh.

Maman pense que je ne me rends compte de rien parce que sa chambre est au bout du couloir. Mais moi, j’ai compris que pour me défendre je dois rester concentré. Je mets mon audioscope en route, c’est une sorte de périscope, mais uniquement pour écouter, et j’essaye de capter les détails. L’audioscope n’est pas un vrai instrument, c’est juste une attitude un peu spéciale : on s’exerce à mieux entendre et, au bout d’un moment, ça devient naturel. On dit de moi que je suis un enfant très sensible, je ne sais pas si c’est un compliment ou pas, bien sûr, les gens le disent avec le sourire, mais au fond de ce sourire compréhensif il y a quelque chose de triste qui me fait penser qu’ils n’ont pas compris grand-chose. Moi, je m’entraîne à être sensible, et mes antennes se dressent toutes seules.

J’ai appris que les détails en disent plus long sur les choses que les choses elles-mêmes. Si on fait attention aux détails, on peut faire croire aux adultes que tout va bien, ils nous croient parce qu’il n’y a aucun détail qui cloche.

Exemples de détails qui clochent : les cheveux en désordre, les cahiers sales, les livres cornés, les écorchures et les ongles noirs, les gros mots.

Les adultes sont obsédés par les gros mots. En général, ceux que les adultes considèrent comme grossiers ne sont pas les mêmes que les miens.

— Arrête de dire des gros mots !

— C’est pas des gros mots, c’est les choses qui sont comme ça !

La preuve : face de cul. Si quelqu’un a vraiment un visage qui ressemble à un cul, avec une raie entre les narines et une peau rose comme une culotte de bonne sœur, j’y suis pour rien, moi !

Commenter ce livre

 

trad. Diane Ménard
22/08/2013 199 pages 16,00 €
Scannez le code barre 9782258098343
9782258098343
© Notice établie par ORB
plus d'informations