Avertissement
J’atteste l’existence des lieux et personnages décrits dans ce roman. S’ils n’existaient pas, ce serait que, déférence gardée envers leurs créateurs, le Haut Pays, l’île au Trésor, Michel Ardan, Moby Dick, Martial Langlois et tant d’autres n’existent pas non plus.
Et, franchement, ce ne serait pas gai.
Cela dit, je supplie mes contemporains de ne pas s’y chercher, ils n’y sont pas.
Et, pour ce qui précède et peut paraître présomptueux, quelques mots d’explication :
Ne crois surtout pas, Lecteur, que j’ose me comparer à Giono, Melville ou Jules Verne ; j’ai parfaitement conscience de ne pas jouer dans la même catégorie.
J’ai pourtant la ferme conviction que si tu as du talent – ce dont je suis persuadé –, les lieux et personnages que j’ai créés auront pour toi, le temps de ta lecture, autant de réalité que ton épicière ou le fond de ton jardin.
S’il s’avérait que j’ai du talent – et l’avenir le dira –, ils continueront d’exister après que tu auras refermé ce livre et figureront quelque part dans ton paysage intérieur parmi ceux que j’ai cités plus haut ou tous
ceux que tes lectures précédentes t’auront permis d’y ranger.
Je t’avouerai, pour ma part, que je ne peux regarder la mer sans y guetter confusément la bosse et le souffle de la Baleine blanche, ni parcourir les Préalpes provençales sans y apercevoir, au détour d’un chemin, dans l’ombre de l’Apollon-citharède des hêtres, la longue silhouette du capitaine Langlois, monté sur un cheval totalement dépourvu d’imagination et occupé à guetter la bande du Beau François.
Lecteur, je ne te souhaite rien d’autre.
1
Chez nous, c’est à la qualité de la lumière plus qu’à la couleur des feuilles qu’on s’aperçoit un beau matin que l’été vient de finir. Le soleil qui jusqu’alors ruisselait sur le monde et le rendait plus neuf, plus brillant, plus vivant, se plaque désormais sur les choses et les rend à leur vérité, à leur décrépitude, à leur mort prochaine.
La lumière qui se plaque ce matin sur le visage de Virginie Dumas ne le met certes pas en valeur. Virginie s’en soucie d’ailleurs comme d’une guigne, elle est morte comme il n’est pas permis. Bien que je sois muni de mon appareil photo, je ne ressens nul besoin de tirer son portrait mortuaire. Je ne pourrais le faire de quelqu’un avec qui, avant-hier soir dans mon arrière-boutique, je refaisais le monde. C’est pour cette raison, plus un certain nombre d’autres qui ne regardent que moi, que je vends des cycles et des armes de chasse et qu’accessoirement je pige pour La Presse au lieu de parcourir la planète, Leica en main.
Je contemple ma vieille amie avec cette intense pitié qu’éprouvent, pour les morts récents, ceux qui les ont vus vivants il y a peu. Avec aussi, je dois le dire, un certain intérêt professionnel ; il va falloir que j’envoie un premier article à mon canard, quitte à ce qu’un vrai journaliste vienne ensuite couvrir l’événement si le rédacteur en chef juge qu’il en vaut la peine. Les gendarmes ont déposé le corps sur une civière après avoir grossièrement délimité, à l’aide de ficelle, l’endroit où nous l’avons découvert. Ils ont mis un certain temps à se rendre compte que la craie ne marquait pas sur l’herbe. Virginie a encore les yeux grands ouverts et l’arrière de sa tête n’est qu’une masse de sang coagulé couverte de mouches. La rigor mortis ayant fait son œuvre, ils ont laissé le corps dans la position où il se trouvait, couché sur le côté, presque en chien de fusil, un bras sous la tête, l’autre le long du corps. Quelqu’un a quand même tiré sa jupe sur ses vieilles jambes. Elle, toujours si nette et pimpante, n’apprécierait sûrement pas qu’on la voie dans cet état.
Extraits
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