#Roman francophone

Le sang des cieux

Kent Wascom

Suivant les pas d'Angel Woolsack, jeune prédicateur qui cherche sa place au sein d'un monde neuf et violent, Le Sang des cieux est une véritable épopée moderne autour du mythe de la Frontière. Kent Wascom rend compte de l'énergie et de la sauvagerie, de l'esprit pionnier et de la ferveur religieuse d'un pays en formation, où tout était possible. Récit fulgurant, sombre et puissant, ce premier roman parfaitement maîtrisé est aussi une touchante histoire d'amour.

Par Kent Wascom
Chez Christian Bourgois Editeur

0 Réactions |

Genre

Romans historiques

Car si cette entreprise ou cette œuvre vient des hommes, elle échouera. Mais si elle vient de Dieu, vous ne pourrez vaincre ces hommes et vous trouverez combattant Dieu.

Cette nuit, j’ai quitté le lit de ma femme pour aller à la fenêtre pisser du sang dans Royal Street. Elle me criait d’arrêter et d’utiliser le pot de chambre, mais je peux vous dire qu’en bas les fêtards sécessionnistes massés aux coins des rues donnaient de la voix pour m’encourager à continuer. Ils sont toujours dehors, transportés par l’idée de nation. Soudain dotés d’un nouveau pays, ils sont comme des enfants à Noël. Je voyais leur nombre enfler jusqu’à Canal Street, et ceux qui se trouvaient coincés dans ce coin de rue surpeuplé n’ont pu échapper à ma rouge ablution. Une horde de jeunots vêtus de popeline est passée sous le jet, tandis qu’une putain hurlait pendant que j’achevais de flétrir les fleurs de ses cheveux et de faire déguerpir sa clientèle. Des débardeurs braillards, trop avinés pour s’en soucier, ont été eux aussi douchés en cherchant à pousser leurs compagnons sous la cataracte. Si je l’avais pu, j’aurais tracé une bénédiction sur tous ces visages, je les aurais oints de l’eau rouge, si rouge, de mon saint encensoir et enjoints de prier avec moi.

De prier pour les enfants de cette ville noyée dans le péché, les fièvres et les eaux boueuses. Nous crevons la surface, mais ne parvenons à émettre que des hurlements étranglés par le whisky. Là où, en temps normal, des draps souillés de bile et de flux sanguin flottent aux balustrades de nos balcons sont désormais déployées d’arrogantes bannières, drapeaux d’un État nouvellement indépendant et d’un peuple qui se déclare affranchi – de Washington, de la tyrannie, de ce président dégingandé. Et libres, nous le sommes, en ce lieu où je vends au poids de la chair striée par le fouet. Car cela fait quelque cinquante ans que je gagne ma vie en spéculant sur le prix des esclaves. J’ai eu le bonheur d’épouser une octavonne et d’avoir un fils encore blanchi par mon sang. Ma femme et mon garçon sont libres tout comme le Sud est dorénavant libre. Libre pour l’égarement et le désastre, libre de se précipiter en enfer, cet enfer que j’ai construit au cours des longues années d’une vie sans foi ni loi, une vie dans laquelle j’ai eu un autre fils, une autre femme, tous deux emportés par le temps et par moi abandonnés.

De prier pour nous qui sommes chaque année soumis à ces atrocités tropicales que sont une chaleur infernale, les fièvres et les ouragans ; qui vivons le long des basses terres fertiles du Sud, sur la côte la plus pure du pays. Notre coin du Golfe est baigné de sang, mes frères et mes sœurs, et j’ai amplement contribué à ce flot. Du talon de la Louisiane à la baie de Mobile s’étend la Terre sainte que je voulais créer avec mon frère, Samuel Kemper. Nous avons combattu pour mener notre révolution en 1804 dans ce qui s’appelait alors la Floride-Occidentale, orteil de la Louisiane d’aujourd’hui. Nous avons échoué, par bêtise, par rancœur, et parce que nous avions perdu de vue le vrai chemin de Dieu ; par la suite, j’ai une nouvelle fois tenté de m’emparer de ce pays, en conspirant, en complotant et en épousant les rêves de grands hommes, mais tout cela pour rien. En 1810, une bande de planteurs allait mener sa propre révolution et ils étaient trop respectables pour faire appel à Angel Woolsack. Ils n’eurent un pays, ainsi l’appelaient-ils, que pendant deux mois. N’importe, j’en étais pendant ce temps à tirer de la chair noire le commencement de ma fortune. Le demi-siècle suivant est passé comme le chuintement d’une arme qui fait long feu, et je suis content que mon frère ou n’importe lequel des autres n’ait pas vécu pour voir ce qui se profile à présent.

Commenter ce livre

 

trad. Eric Chédaille
02/05/2014 520 pages 23,00 €
Scannez le code barre 9782267026542
9782267026542
© Notice établie par ORB
plus d'informations