Les conditions les plus aisées à vivre selon le monde sont les plus difficiles à vivre selon Dieu. Et au contraire rien n’est si difficile selon le monde que la vie religieuse, rien n’est plus facile que de la passer selon Dieu. Rien n’est plus aisé que d’être dans une grande charge et dans de grands biens, selon le monde. Rien n’est plus difficile que d’y vivre selon Dieu et sans y prendre de part et de goût.
PASCAL, Pensées, fragment 572
(édition Garnier, établie par Philippe Sellier)
Introduction
La plus belle promotion de l’histoire de l’ENA fut celle de 1947, la première de toutes, baptisée « France combattante » : une promotion de quatre-vingt-six jeunes résistants brillants et bravaches, cerclant leur dextérité intellectuelle de principes moraux. On y trouve Simon Nora, Yves Guéna, Jacques Duhamel, Alain Peyrefitte ou Jean Serisé. On savait, au sortir de la guerre, pourquoi on faisait l’ENA. Tout était à rêver puis à créer. Sabre au clair et sens de l’histoire. On voulait travailler pour la collectivité et mettre sa rage de réussir au service de quelque chose de plus grand que son intérêt personnel. Une société à rebâtir, un État fort, un amour de la France. L’ENA représentait la voie royale pour des jeunes gens ambitieux, volonté d’acier et tête bien faite, portés par des idéaux sincères. « Les hauts fonctionnaires ont été, durant les Trente Glorieuses (1947-1973), en position de démiurges puisque La France était à réinventer » (Marc Lambron, promotion 1985). Mais, aujourd’hui ? Un État contesté de toutes parts, une société en crise, une mondialisation sans frein. L’ENA, concurrencée par des cursus internationaux, a perdu de sa superbe.
Nombre d’excellents élèves, dont Alain Juppé est un prototype, ont longtemps mis en avant leur parcours scolaire. L’ancien Premier ministre de Jacques Chirac, fils d’agriculteurs né à Mont-de-Marsan (Landes) en 1945, a été premier prix de grec et latin au concours général des lycées, normalien, agrégé de lettres classiques, élève à Science Po, énarque (promotion 1972). Les diplômes représentaient alors une source de fierté légitime. On appartenait à l’élite républicaine. Le mérite scolaire justifiait l’ascension sociale. Mais, aujourd’hui ? Les choses, de ce point de vue là, ont aussi changé. « On n’ose plus dire qu’on a fait l’ENA », remarque Alain Juppé. Le ministre Laurent Wauquiez, major de l’ENA (promotion 2001) et de l’agrégation d’histoire, ancien élève de la rue d’Ulm, n’aime pas, en effet, qu’on lui rappelle ses diplômes. L’ENA reste le symbole français, fantasmé ou non, de l’élite de l’élite. Il ne faut surtout pas passer pour arrogant, ne surtout pas appartenir à l’élite méritocratique dans une société où seule l’élite médiatique fait envie, ne surtout pas sembler coupé du peuple. Il y a inversion des valeurs. « Le cancre a du génie » (Régis Debray). La France est à l’image de Nicolas Sarkozy. Elle n’aime pas l’ENA.
Extraits
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