Chapitre 6
La rumeur circule
De retour au campement, Guerric, Gladys et Jules passèrent voir Gaston dans sa caravane pour prendre des nouvelles du cheval.
– Comment va-t-il ? s’enquit Gladys.
– J’ai réussi à soigner sa plaie, l’informa le vétérinaire. Ce n’était pas joli à voir. Je suppose qu’il s’est approché en sentant l’odeur d’autres chevaux et qu’il s’est arraché le poitrail sur le fil barbelé.
– S’en sortira-t-il ? s’inquiéta Gladys. Gaston sourit.
– Bien sûr ! J’ai rarement vu un cheval aussi robuste. Il est superbe, même si je doute que quelqu’un s’en occupe vraiment. Sa guérison demandera juste un peu de temps et de soin.
Gladys parut soulagée.
– Et vous ? questionna Gaston. Avez-vous trouvé son propriétaire ? Les trois amis se regardèrent avec gêne.
– Oui, mais… commença Guerric.
– Pas encore, le coupa Jules en faisant de gros yeux. Nous chercherons de nouveau tout à l’heure entre les deux représentations.
– Il faut absolument le retrouver, insista Gaston. Il doit acheter les médicaments nécessaires.
Jules lui assura :
– Nous y arriverons, c’est promis.
En sortant de la caravane de Gaston, Guerric sauta sur Jules.
– Il n’est pas question que je retourne chez cette sorcière, prévint-il.
– Tu en parles comme si elle en était vraiment une, fit remarquer Jules. Guerric hésita.
– Il n’empêche qu’elle en avait un peu la tête. Quant au facteur, il n’avait pas l’air très rassuré. Toute cette histoire ne me dit rien qui vaille.
– Moi, je trouve cela très excitant, avoua Jules. Je sens le mystère là-dessous !
– On pourrait peut-être trouver un autre moyen, suggéra Gladys. Guerric et Jules se tournèrent vers elle sans comprendre.
– Gaston dit que nous devons retrouver le propriétaire pour pouvoir acheter les médicaments du cheval, expliqua-t-elle. Mais si nous nous débrouillons pour acheter nous-mêmes les médicaments, nous n’aurons pas besoin d’aller trouver cette… sorcière !
Le regard de Guerric s’éclaira.
– Génial !
Jules était déçu. La proposition de Gladys était trop raisonnable.
– Mais… argumenta-t-il.
– C’est plus prudent ! trancha Gladys sans lui laisser le temps de protester davantage.
Jules haussa les épaules et dit d’un air boudeur :
– J’ai dix euros que m’ont donnés mes parents pour les vacances.
– Et moi, il me reste trois euros et cinquante-quatre centimes dans ma tirelire, ajouta Guerric.
– Je dois avoir cinq euros à peu près, compléta Gladys. Nous avons presque vingt euros à nous trois.
– J’ai peur que cela ne suffise pas, dit Jules. Les médicaments pour les chevaux sont chers, je crois.
– Nous n’aurons qu’à proposer nos services en ville, suggéra Guerric. Nous laverons les voitures pour deux euros. Qu’en dites-vous ?
Jules retrouva le sourire : enfin un peu d’action ! Le projet fut adopté à l’unanimité. Dès cet après-midi, entre les deux représentations, ils iraient en ville pour prospecter et trouver des clients. Avec un peu de chance, ce soir, ils auraient de quoi payer les médicaments.
Mais l’enthousiasme des enfants retomba très vite. Quand ils purent se libérer et aller en ville, une seule personne accepta de donner sa voiture à laver. Au départ, les Figeacois étaient assez nombreux à s’être laissé convaincre de faire nettoyer leur véhicule mais, quand les enfants eurent expliqué pourquoi ils faisaient cela, tous refusèrent. Sauf un. C’était un homme d’un certain âge, médecin à la retraite.
– Mes pauvres enfants, vous n’avez pas choisi d’aider la bonne personne, leur dit-il quand ils lui eurent parlé du cheval noir. Les gens de cette petite ville ne veulent pas entendre parler de madame Corbignac.
– La sorcière ? lâcha Gladys un peu trop vite.
Elle se mordit la langue. Elle aurait mieux fait de se taire.
– C’est ainsi que les gens d’ici l’appellent en effet, sourit le vieux docteur. Je l’ai soignée dans le temps et je peux vous assurer qu’elle n’avait pas le nez crochu, ajouta-t-il avec malice. Elle était même très belle.
Les yeux du vieux monsieur se voilèrent un court instant.
– Mais alors ?
– La pauvre femme a perdu son mari il y a bientôt quinze ans et, depuis, elle vit seule dans cette grande maison. Au début, les gens venaient lui rendre visite. Puis quand elle a commencé à leur raconter que quelqu’un errait chaque soir dans sa maison, ils n’ont rien dit. Ils ont ri. Et comme elle s’entêtait à raconter toujours la même histoire, les gens se sont lassés. Je les soupçonne même d’avoir eu peur. Ils ont dit qu’elle était folle. Alors, elle s’est enfermée chez elle, refusant de voir même ses derniers amis. J’ai bien essayé plusieurs fois d’aller la visiter, mais elle ne m’ouvrait plus. Comme elle ne sortait plus jamais de chez elle, les gens ont fini par croire qu’elle était une sorcière vivant avec le fantôme de son mari.
Gladys sentit un long frisson lui parcourir le dos.
– Et vous, qu’en pensez-vous ? demanda Guerric au docteur.
– Je crois que le désespoir lui a fait perdre un peu la tête, mais rien de plus, répondit-il après un long silence.
Gladys hocha la tête. Elle n’était pas très pressée de vérifier qui avait raison, du médecin ou des habitants de Figeac.
Lorsque la voiture fut terminée d’être lavée, le médecin tendit un billet de dix euros aux trois amis. Guerric prit un air gêné.
– Nous n’avons pas la monnaie sur nous, s’excusa-t-il. Pourrions-nous repasser un peu plus tard ?
Le vieil homme sourit :
– Gardez tout. Je ne veux pas de votre monnaie. Peut-être que cet argent vous permettra de remettre ce cheval d’aplomb. Cela fera un souci de moins pour Madeleine.
Le cœur de Gladys se serra. Cette histoire était très triste au fond et elle n’aimait pas savoir les gens malheureux.
– Vingt-huit euros et cinquante-quatre centimes ! résuma Jules un peu plus tard. J’espère que cela sera assez.
Les trois amis se dirigèrent vers la caravane de Gaston et frappèrent à la porte. Le vétérinaire leur ouvrit. Il s’apprêtait à préparer les animaux pour la seconde représentation.
– Avez-vous retrouvé le propriétaire ? leur demanda-t-il de but en blanc.
– Non, répondit Guerric. Mais peu importe puisque nous avons de quoi payer les médicaments.
Gaston dévisagea les enfants avec un drôle d’air.
– C’est notre argent ! le rassura aussitôt Gladys. Et nous avons lavé des voitures pour en avoir un peu plus.
– Hum ! dit Gaston. Très bien. Combien avez-vous donc ?
– Vingt-huit euros et cinquante-quatre centimes, répondit Jules fièrement.
Gaston sourit.
– Ce sera parfait dans un premier temps, admit-il. En revanche, il faudra tout de même vous débrouiller pour trouver le propriétaire de cet animal.
Gladys pâlit.
– Pourquoi ? bredouilla-t-elle. Nous avons de quoi acheter les médicaments…
– En effet. Mais le traitement va durer quinze jours et nous ne restons ici qu’une semaine. Donc…
– Il faut trouver quelqu’un qui s’occupe de lui administrer le traitement pendant une semaine, le coupa Guerric qui avait immédiatement saisi le problème.
Gaston secoua la tête.
– Non, non, s’exclama-t-il. Il ne faut pas trouver quelqu’un. Il faut trouver LE propriétaire. En cas de complication, nous ne pouvons pas nous permettre de n’avoir organisé les choses que sur quelques jours après notre départ. Je dois parler à son propriétaire.
Guerric se tourna vers ses amis avec un sourire désolé.
– Il va falloir y aller alors, murmura-t-il, si bas que Gaston ne put l’entendre.
Une lueur d’excitation s’alluma dans les yeux de Jules. Il rêvait de mystère, il était servi !
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