#Roman francophone

Les bains de Kiraly

Jean Mattern

Les Bains de Kiraly. Gabriel a bien tenté de croire au bonheur. Subjugué par Laura, il s'est arrimé à son rire et s'est employé à vivre au présent. Mais du jour où elle lui a annoncé qu'elle attendait un enfant de lui, il a pris la fuite, sans un mot... Quand, après des mois d'errance dans Londres, il échoue par hasard dans une synagogue, les chants des hommes l'apaisent, et libèrent enfin sa parole. Il se lance alors dans l'écriture de cette longue confession, où le silence et la culpabilité dansent un vertigineux pas de deux. De lui, de son enfance solitaire, de sa sœur aînée fauchée par un chauffard ivre, de ses parents murés dans leur deuil, de leur refus de rien lui révéler sur leur passé, il n'a jamais pu parler, ni à Laura, ni à son ami Léo. Jamais il n'a pu exprimer la vérité de ses sentiments. Et, si des mots il a fait son métier, c'est pour traduire ceux des autres, barricadé derrière une montagne de dictionnaires. Quand, à la faveur d'une rencontre des traducteurs de Thomas Mann en Hongrie, une clef de son passé lui est révélée dans un cimetière de Budapest, ses souvenirs se bousculent : les phrases murmurées par ses parents dans une langue étrangère, la saveur de la cuisine magyare, la fascination pour la littérature de la Mitteleuropa qu'avait su éveiller en lui le vieux libraire du pays champenois où il a grandi... Évoquant le désarroi existentiel et sentimental de cet homme fragile livré à lui-même, Jean Mattern écrit avec des accents justes et mesurés un lumineux roman des origines.

Par Jean Mattern
Chez Sabine Wespieser Editeur

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Genre

Littérature française

I

Un pas devant lautre. Quoi de plus simple. On pose un pied, le talon d’abord, le déroule, l’autre pied se soulève alors, l’alternance est naturelle, et la mécanique du corps, parfaite- ment rodée. Aucune commande nerveuse complexe et aucun effort de notre volonté ne sont nécessaires afin de nous porter en avant. C’est heureux : il existe des buts que l’on n’a pas envie d’atteindre, et des chemins que l’on ne veut pas parcourir.

Comme ces centaines de mètres, depuis l’entrée du cime- tière jusqu’à la tombe de Marianne, que seule l’inconscience de mon corps me permit de franchir. Mon corps avait la mémoire des gestes à accomplir pour avancer, tenir debout. Pas moi. Je ne me souviens de rien. J’aimerais tant pouvoir refaire ce chemin, et cette fois, peser le poids de chaque foulée. Un pas après l’autre, sur le gravier, en regardant droit devant. Il n’y aurait plus de cercueil en bois clair, mais je ferais comme si. Je ne regarderais plus le bout de mes chaussures noires pour éviter le regard des autres. Il n’y aurait personne d’autre au bord de la tombe, je serais seul. Seul à essayer de comprendre où ce genre de chemin peut mener un garçon de dix ans. 

Mais je suis loin du petit cimetière de Proverville, tout près de Bar-sur-Aube. C’est un bel endroit, niché sur la colline à la sortie du village, face aux vignobles champenois. Quand je marche ici, j’essaie d’imaginer cette lumière du matin, au moment où la première brume de l’automne se dissipe. Laisser de côté le ciel anglais, faire comme si j’étais entouré de vignes. 

Quand j’y parviens, les rues de Londres deviennent un simple décor. Elles glissent sur mon regard, semblables les unes aux autres. Je les parcours pourtant pendant de longues heures, tous les jours. Mes déambulations me permettent pour la première fois de mesurer l’étendue de la ville que j’habite depuis des années. 

Pour m’échapper des quatre murs du meublé que je loue depuis quelques mois, je marche. Tournant à gauche ou à droite au hasard, je dessine de larges cercles, des trajectoires que je serais incapable de retracer sur une carte de la ville. Je me laisse pousser en avant par la foule, le flot des piétons. Le risque de tomber sur un visage connu n’est pas grand : je ne connais personne ici, à part ma femme bien sûr, et mon meilleur ami. 

Mais eux ne savent pas que je passe mes journées ainsi, à marcher, et à essayer de les oublier. 

Abandonner Laura et laisser Léo sans nouvelles me parut la seule solution pour sortir de l’impasse. Ce fut une erreur. Je suis plus que jamais pris à mon propre piège. 

Il y a quelques jours, en rentrant d’une de mes longues pérégrinations, je vis pour la première fois ce panneau, à deux rues de chez moi : Synagogue Beth Hamedrash. Si on peut appeler « chez moi » ce meublé sinistre dans le quartier de Golders Green qui me sert de cache : je ne sais pas si c’est la honte ou la fatigue qui m’a poussé à m’y réfugier, ou la lâcheté. Cela va faire un an. 

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25/08/2008 133 pages 17,25 €
Scannez le code barre 9782848050669
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