#Roman francophone

Les exilés meurent aussi d'amour

Abnousse Shalmani

L'exil déchire, mais il révèle aussi. Shirin en sait quelque chose - elle a neuf ans lorsque qu'elle arrive en France avec ses parents, au lendemain de la Révolution islamique d'Iran, pour y retrouver sa famille maternelle : un foyer communiste qui, malgré le déracinement et le déclassement, rêve toujours du grand soir, à Paris comme à Téhéran jadis, même si les grands discours ont remplacé les armes. Et alors que Shirin se réfugie dans l'apprentissage de la langue française, le vrai visage de son entourage se dessine : sa mère, enceinte, s'avère être une vraie magicienne, ses tantes des monstres de sang-froid, son père un perdant, et son grand-père, un homme violent. Shirin tourne le dos à l'idéologie familiale dont elle pressent les dérives sanglantes, puis découvre l'amour et la culture de son pays d'adoption avec Omid, juif iranien éconduit par sa tante. Pour lui, elle espionne sa famille, jusqu'à en percer le terrible secret, qui la dévastera, mais l'en affranchira. Grâce à Hannah, voisine rescapée de la Shoah, elle fera le choix de la liberté qui lui permettra de trouver sa voie, celle d'un exil heureux, dans les livres et les bras d'Omid... tandis que son petit frère, enfant surdoué, décidera de venger sa mère humiliée par les siens, en intoxiquant un à un les membres de sa famille...

Par Abnousse Shalmani
Chez Grasset & Fasquelle

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Genre

Littérature française

À ma mère

« Les hommes se trompent lorsqu’ils pensent être libres et cette opinion consiste en cela seul qu’ils sont conscients de leurs actions et ignorants des causes par lesquelles ils sont déterminés. »

Spinoza, L’Éthique, Livre II


« Le mythe raconte qu’Apollon avait reconstitué Dionysos démembré. C’est l’image neuve, inventée par Apollon, d’un Dionysos sauvé de son déchirement asiatique. »

Nietzsche, La Vision dionysiaque du monde


« Sa logique violente et atroce aboutissait toujours au meurtre.

Tous ses principes demandaient du sang. Sa société ne pouvait se fonder que sur des cadavres et sur les ruines de tout ce qui existait. Il poursuivait son idéal à travers le carnage, et pour lui le seul crime était de s’arrêter devant un crime. »

Lamartine, Histoire de Girondins

 

 

Première partie


An I de l’exil

 

 

Si je ne m’imaginais pas retrouver une maison équivalente à celle que je venais de quitter à quelque 4 215 kilomètres de là – mes parents m’avaient prévenue –, je ne m’attendais pas à ça. Trois fois deux pièces dans la même résidence, dans le même immeuble, les uns au-dessus des autres, mes deux tantes célibataires au dernier étage dans un appartement que Mitra avait baptisé l’Atelier, et qui m’était interdit tant les toiles de Zizi, les tubes de peinture, les pinceaux, les sculptures de Tala, la glaise, le plâtre, le marbre parfois, les photographies, les dessins, les livres d’art et les nus, les nombreux nus, occupaient tout l’espace.

C’était laid. Un balcon filant, mais vide. Le gris des immeubles pour seul horizon. Le minimalisme bétonné de la fin des années 70. Alors qu’une musique iranienne qui se voulait joyeuse prenait tout le monde à la gorge, Mina, la fille de Mitra et du Chinois, nouveau-née à la pilosité excessive, dormait. Je regardais autour de moi, tout me semblait banal : les assiettes, la moquette râpeuse, les ampoules nues, le papier peint d’un beige vieillot avec des motifs bambou. Quelques bibelots de valeur, rapportés entre les pulls de nos valises, juraient avec le décor. D’un an mon aîné, mon cousin Pejman (l’autre enfant de Mitra et du Chinois), se tenait dans un coin et, toujours effrayé, toujours silencieux, bâtissait des constructions tortueuses en Lego qui tenaient pourtant debout. Immobile sur le seul fauteuil confortable, grand-père Mahmoud, le père de Niloo et de mes tantes, n’avait pas desserré les dents depuis l’exil – je pensais qu’il était devenu gaga et parfois, en passant près de lui, j’agitais ma main devant son visage pour vérifier qu’il était encore en vie. Il me lançait alors un regard vide et je m’éloignais, en précisant à celui que je croisais que le grand-père était bien vivant.

Je fis le tour de l’appartement. J’en refis le tour. Je tentai de pousser les murs, espérant une porte cachée, une suite dans cet espace trop petit : mais où allais-je dormir ? La réponse vint rapidement. Par terre. Sur des matelas, dans le salon-salle-à-manger-bibliothèque-bureau avec mon père et ma mère – et le tout petit frère dans le ventre de ma mère.

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22/08/2018 400 pages 22,00 €
Scannez le code barre 9782246862338
9782246862338
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