#Essais

Les guerres et la mémoire

Rémi Dalisson

Commémorer la guerre. Une habitude que la France, depuis Sedan, n'a cessé d'entretenir pour célébrer ses glorieuses défaites ou ses retentissantes victoires. Il est peu de pays qui honore avec tant de soin, de persévérance et de moyens la mémoire des événements et des hommes, semant ici et là les monuments du souvenir. Inventées après la déroute de 1870, ces fêtes nationales, parfois appelées "journées de guerre ", se structurent tout au long de la Ille République. Après la Grande Guerre, qui en fixe les rituels, ces célébrations deviennent le réceptacle de toutes les passions nationales. Même Vichy n'osera pas remettre en cause cet instrument d'assignation identitaire et de communion mémorielle dédié à l'écriture du roman national. La victoire des Alliés, puis les guerres coloniales, ne feront qu'enrichir et compliquer ces questions d'identité. Menée à l'échelle du pays, mariant archives nationales et locales, l'étude de Rémi Dalisson raconte plus d'un siècle de " guerre des mémoires ", mémoires toujours incandescentes, comme en témoigne la célébration polémique de la fin de la guerre d'Algérie. Il montre que les fêtes de guerre, à la différence d'autres commémorations nationales et en dépit de la disparition des acteurs, restent l'un des espaces centraux du débat politique national, l'un des lieux de mémoire primordiaux de la République.

Par Rémi Dalisson
Chez CNRS

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Editeur

CNRS

Genre

Sciences historiques

Le 11 novembre 2010, un communiqué de la présidence de la République expliquait :

« Il y a quatre-vingt-dix ans, pour honorer les soldats de la Grande Guerre, les Français portaient solennellement jusqu’à la place de l’Étoile la dépouille d’un combattant anonyme, tombé au cours d’un des terribles combats où périrent avec lui plus d’1,4 million de ses frères d’armes. Depuis, notre nation se réunit chaque année dans l’hommage rendu au Soldat inconnu et chaque soir, sous l’Arc de triomphe, est ravivée la flamme qui commémore le souvenir des soldats tombés au champ d’honneur dans chacun des conflits où la France s’est engagée. À travers ce symbole, c’est la flamme de la Nation qui est ici maintenue vivante. Rassemblés autour d’elle en ce 11 Novembre, […] nous célébrons une France qui a affronté l’une des plus terribles épreuves de son histoire et qui l’a emporté parce qu’elle a su se montrer responsable et unir toutes ses forces pour faire face au danger1. »

Cent trente ans plus tôt, le 27 mai 1881, devant le monument aux morts de Cahors dédié aux Mobiles du Lot, le futur président du Conseil Léon Gambettas’était écrié :

« Les peuples qui veulent rester libres et indépendants ont pour devoir de placer sous les yeux des jeunes générations les exemples et les souvenirs qui fortifient les âmes, qui forment les caractères, qui trempent de bonne heure les courages. […] Tous les peuples qui ont compté dans l’Histoire, tous ceux qui ont pris leur vraie place et qui surtout l’ont gardée, ont eu par-dessus tout le culte du sacrifice et de l’abnégation militaires. […] Une grande nation doit honorer ses morts et je dirai volontiers que ceux qu’il faut honorer surtout, ce sont ceux qui sont morts dans le désastre, ceux qui sont morts dans la défaite, ceux qui sont morts sans espoir, mais ayant fait d’autant plus leur devoir jusqu’au bout parce qu’ils le faisaient avec le sentiment qu’il n’y avait plus à donner à la France que leur sang et leur vie2. »

À un siècle de distance, ces déclarations semblent se répondre, l’une en célébrant la victoire, l’autre en commémorant la défaite. Chacune évoque la nation, la mémoire, l’union nationale, le sacrifice et la pédagogie civique, mêlant histoire et mémoire, guerre et souvenir, fête nationale et fête locale. Surtout, chacune témoigne du poids de la mémoire de guerre en France et, plus original encore, de l’importance des fêtes en général et de celles de la mémoire de guerre en particulier. Ainsi en 2013, sur les douze célébrations nationales officielles3, huit commémorent une guerre. Et l’une des quatre restantes a un lien avec la guerre puisqu’il s’agit de la Journée nationale d’hommage aux victimes des crimes racistes et antisémites de l’État et d’hommage aux « Justes » de France.

En France plus qu’ailleurs, les fêtes ont vocation à produire de la légitimité, à incarner la nation rassemblée et à produire du consensus, y compris quand elles célèbrent la guerre. Pour mieux comprendre cette singularité, nous rassemblerons sous le terme générique de « fêtes de guerre » les célébrations organisées pendant et après les combats. Dans ce dernier cas, sur le modèle des 11 Novembre ou 8 Mai, les célébrations doivent organiser le culte d’une « mémoire de guerre4 » appelée à perdurer. Nous y ajouterons les fêtes locales de guerre, modèles des célébrations de la mémoire d’un conflit (les inaugurations de monuments aux morts ou les fêtes de Vétérans). Enfin nous prendrons en compte les fêtes d’après la Seconde Guerre mondiale qui célèbrent la résistance, puis des mémoires de guerres particulières. Car, depuis quelques années, de nouvelles commémorations émergent sous la pression d’associations ou de personnes privées. Ce sont les Journées mémorielles qui honorent les mémoires des guerres coloniales et/ou de groupes. L’ensemble de ces fêtes de guerre forge une représentation collective, une mémoire nationale, socle d’une identité fantasmée autant que vécue.

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05/09/2013 332 pages 25,00 €
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