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Russie
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INTRODUCTION
« [Les historiens] se basent traditionnellement sur [l’étude] des documents, [tandis que le renseignement, lui, est fondé] sur le déni, la falsification et la destruction de documents. »
Robin W. Winks, Cloak and Gown : Scholars in the Secret War, 1939-1961(1)
« – Comment le SIS a-t-il réussi à capturer à Londres un agent soviétique considéré comme insaisissable ?
– On a donné l’indication d’arrêter toute personne sortant des toilettes publiques en fermant sa braguette. »
Histoire drôle russe
La rencontre
Le bureau de presse du SVR, l’officine publique du service de renseignements russe actuel, est un ancien hôtel particulier du XVIIIe siècle – un osobniak – en retrait de la rue Ostojenka, une artère animée du sud-ouest de Moscou. Cet intermédiaire entre le monde ultra-secret de l’espionnage et celui des médias affiche une façade très discrète. À la différence des institutions étatiques de la nouvelle Russie, qui exhibent fièrement leur identité à l’aide d’imposantes plaques de bronze ou de marbre, ici, aucune inscription ne guide le voyageur curieux d’en savoir davantage sur l’ouvrage architectural du temps jadis. Devant la porte d’entrée grillagée qui préserve l’anonymat de l’hôtel particulier ne figure qu’un simple bouton noir en guise d’Interphone. Il n’y a guère que la couleur de la construction, un jaune fatigué, qui tranche avec la grisaille de la rue.
C’est par un matin ensoleillé de décembre que nous nous présentons devant le portail. Si les archives des services de renseignements occidentaux ont commencé à s’ouvrir aux chercheurs, alors pourquoi pas les archives russes ? Telle est la question qui motive notre visite, et le SVR est un passage obligé. Le rendez-vous avec le directeur du bureau de presse, Ivan Sergueïevitch Nikolaïev(2), est pris depuis longtemps. Le gardien, sec et court sur pattes, les cheveux poivre et sel, entièrement vêtu de noir, sort de son bureau pour nous annoncer au maître des lieux, après nous avoir courtoisement indiqué un des fauteuils du parloir ; un luxe dans Moscou où extirper la moindre formule de politesse relève de l’exploit.
Nikolaïev, un homme de quarante-neuf ans à l’allure imposante, semble avoir oublié notre rendez-vous. Son visage rond trahit une impatience propre à ceux qui ont l’habitude de fréquenter les grands de ce monde. Pendant que nous lui rappelons l’objet de notre visite, Nikolaïev nous scrute avec méfiance, puis se ressaisit et nous invite à le suivre. Nous traversons une antichambre à la bibliothèque imposante, avant d’arriver dans un salon. Quatre canapés confortables forment un carré autour d’une table basse. La pièce est sombre. Ivan Sergueïevitch nous invite à nous asseoir et éclaire le lieu.
Branche-t-il en passant une caméra et un micro pour immortaliser l’entretien ? Donne-t-il l’indication à ceux qui sont cachés derrière la glace, forcément sans tain, de commencer leur observation ? Allons-nous quitter ce lieu avec un micro sous la semelle de nos souliers ? Les fantasmes naissent bien vite dans cette situation. Pendant que nous imaginons toutes sortes de scénarios plus ou moins farfelus, un autre responsable du bureau de presse, plus jeune, se joint à nous.
Extraits
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