#Roman francophone

Les vieillards de Brighton

Gonzague Saint Bris

Au début des années cinquante, en Angleterre, un petit garçon, fils de diplomate français se retrouve placé par ses parents dans un asile de vieillards à Brighton. Dans ce manoir gothique, face à la mer, cet enfant de cinq ans déambule au milieu d'un cauchemar et lutte pour survivre, au cœur de la vieillesse. " On m'isole, on me camisole. À six heures du soir, on m'a déjà donné à dîner et je ne sais pas pourquoi on me force à me coucher avant les autres. La crainte de voir arriver les vieillards est grande car je ne m'habitue pas à leur cortège de fantômes qui progresse dans le dortoir. " Ainsi défilent le grand Will, écrivain maudit. Lady Beckford, grande dame au caractère altier, le Brigadier Général, ancien officier des Indes et espion de l'Intelligence Service, Faïence Folie, pute au grand cœur, Somerset, loup de mer sadique, Oscar, cuisinier gay, et l'abbé Corentin qui a pour cultes Dieu et les chemins de fer. C'est toute une Angleterre qui ressuscite, de Shakespeare à Jack l'Éventreur, en passant par l'impératrice Victoria et Winston Churchill. Dans ce livre poignant, Gonzague Saint Bris révèle le secret de son enfance : Les Vieillards de Brighton est le roman de sa vie.

Par Gonzague Saint Bris
Chez Grasset & Fasquelle

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Genre

Littérature française

I heard the old, old men say « Everything alters, And one by one we drop away ». They had hands like claws, and their knees Were twisted like the old thorn-trees By the waters. I heard the old, old men say « All that’s beautiful drifts away Like the waters ».

THE OLD MEN ADMIRING THEMSELVES IN THE WATER

De W.B. YEATS.

 

« A ce passé auquel je suis attaché en dépit de tout. »

 

 

 

PREMIÈRE PARTIE

 

 

Dans mon enfance, je n’ai pas eu d’enfance.

Maxime GORKI.

 

On me dit que j’ai trente ans, mais si j’ai vécu trois minutes en une, n’ai-je pas quatre-vingt-dix ans ?

Charles BAUDELAIRE.

 

De quoi souffres-tu ? De l’irréel intact dans le réel dévasté.

René CHAR.

 

Vivre, c’est survivre à un enfant mort.

Anatole FRANCE.

 

 

Chapitre 1

 

 

Enfant, j’habitais Londres où mon père était un jeune attaché d’ambassade. C'était la vie rêvée. Hyde Park et son allée de fleurs violettes, les musées gratuits où l’on pouvait jouer avec des trains électriques, les magasins de jouets extraordinaires, les cantiques dans la brume, les policemen polis qui ne regardaient pas ma nurse avec insistance. Elle était suisse et s’appelait Nana. Le prince Charles enfant nous faisait parfois des signes du balcon de Buckingham Palace. Je lui répondais. Après tout, nous avions le même âge et on nous coiffait de la même manière : de l’eau sur la tête et la raie sur le côté.

 

 

Tout cela aurait pu être une charmante histoire, avec les casquettes bleu et jaune de notre école, la St Philip’s School, les « bats » de cricket, des rues de Londres où l’on jouait avec de petites voitures Dinky Toys contre les murs gris en se salissant les mains. Je croyais vivre un « Nursery Rhymes », mais je ne savais pas encore que c’était celui de Humpty Dumpty, le petit homme fragile à l’énorme tête d’œuf qui, assis, en haut d’un mur, n’ose plus bouger de crainte de se fracasser le crâne. Pour moi, l’omelette était proche, la catastrophe imminente. J’avais cinq ans, l’âge de l’innocence, l’âge où pourtant j’ai dit adieu à l’innocence. Pardonnez-nous nos enfances !

 

 

C'est vrai, j’avais un caractère difficile, je restais enfermé des heures sans jamais vouloir demander pardon. Je croyais que la colère était ma noblesse. J’explorais mes haines intérieures. Mais il faut bien avouer que j’étais très violent. Un jour mon père me surprit dans une lutte acharnée avec mon frère aîné, dont je croyais qu’il était le préféré de mes parents. J’étais en train de frapper sa tête contre les carreaux de la cuisine.

 

 

Pour apaiser la situation, mes parents décidèrent qu’un éloignement me serait profitable. On leur avait dit : « L'air de Brighton est bon pour les nerveux. » Aussi, un après-midi nous quittâmes Londres dans la belle Frégate grise qui faisait notre fierté, une vraie voiture française, et je ne compris pas pourquoi je partais seul avec mon père, sans mes frères, ni ma mère. Peut-être, au fond, me prenait-il pour un adulte. Voulait-il me parler? Qu’allions-nous découvrir? Je m’imaginais qu’il avait remarqué la grandeur de mon caractère et allait me confier à l’amiral Nelson qui, dans les jours à venir, me donnerait, peut-être, le commandement d’un « brick ». Mais, plus que du voyage, c’est de l’arrivée dont je me souviens. Brighton, une ville élégante mais qui fait peur par sa distinction froide ; des villas telles qu’on les imagine chez Agatha Christie, où les crimes se mitonnent dans la camomille, des gazons verts et tendres comme dans les films de Losey, où l’on ne tond que la surface de drames affreux et enterrés.

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02/05/2002 332 pages 18,80 €
Scannez le code barre 9782246635116
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