#Roman francophone

Loin de mon père

Véronique Tadjo

Nina revient dans son pays, la Côte d'Ivoire, pour y enterrer son père et organiser ses funérailles. Face à la famille, aux parents, aux amis, aux voisins, Nina est seule. Le pays qu'elle a quitté depuis si longtemps lui échappe, les règles et les usages lui restent obscurs, et il s'agit pourtant de trouver le ton juste, l'attitude convenable face aux comportements des uns et des autres, aux mesquineries, aux convoitises. Pour des raisons protocolaires, les funérailles sont plusieurs fois ajournées mais, dans ce pays où gronde la guerre civile, dans cette ville d'Abidjan en proie au chaos, Nina tente d'accepter, d'assumer son impuissance et ale retrouver une appartenance à jamais perdue. Malgré sa posture tout à la fois proche et étrangère, elle investit avec dignité la place qui sera désormais la sienne en cette maison paternelle. Quel est le pouvoir des femmes au sein de la famille. jusqu'où peut aller l'ambiguïté de leur comportement face à la polygamie, l'héritage familial ou les choix de toute une vie ? D'une voix toujours plus déterminée, Véronique Tadjo questionne l'Afrique d'aujourd'hui, entre rituels et dérives politiques, clestin individuel et portrait d'une culture ancestrale.

Par Véronique Tadjo
Chez Actes Sud

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Editeur

Actes Sud

Genre

Littérature française

Cette histoire est vraie, parce qu’elle est ancrée dans la réalité, plongée dans la vie réelle. Mais elle est fausse également parce qu’elle est l’objet d’un travail littéraire où ce qui compte, ce n’est pas tant la véracité des faits, mais l’intention derrière l’écriture. Tout a été revu, remanié, réordonné. Certaines choses ont été passées sous silence, d’autres au contraire ont été renforcées. Bref, ce qui reste, c’est le mensonge (facétie) de la mémoire, de la parole.

 

Références perdues.

Citation réécrite, ou entièrement de moi ?

 

 

 

Dans le monde actuel où nous vivons, avant de faire quelque chose il faut réfléchir ; il faut réfléchir longuement car ce que nous disons s’en va, ça ne reste pas ici. Donc quand quelqu’un viendra demander : “Cela, qui l’a dit ?”, tu diras alors son nom : “C’est Kaku Adingala qui l’a dit. – Ah bon ? D’où vient cet Adingala ?” Tu diras qu’il vient de Siman. Alors il te demandera : “Qui est son ancêtre ?” – peut-être le sait-il déjà – et tu lui diras : “Son ancêtre, c’est le vieux Assemian Eci.” Il te dira alors : “Ne dis plus rien ; ce que tu as dit est exact.”

 

HENRIETTE  DIABATÉ,

Le Sannvin, un royaume akan

de la Côte d’Ivoire (1701-1901),

sources orales et histoire, vol. IV,

université de Paris-I,

octobre 1984, p. 291-b.

 

 

 

 

LIVRE UN

 

 

 

J’ai l’impression d’être à deux pas de toi, et pourtant un gouffre nous sépare.

 

 

 

 

 

I

 

 

Impossible de dormir.

Nina avait pensé que le coucher du soleil lui apporterait un peu de sérénité. Pourtant, après avoir irradié le ciel de pourpre et d’or, l’astre s’était mis à fondre de l’autre côté de l’horizon. À présent, c’était fini. Il ne restait plus que l’obscurité, dense et inquiétante. Elle détourna le regard du trou noir, ferma le hublot, inclina son siège et tenta de s’assoupir. Les ailes de l’avion tranchaient la nuit.

L’angoisse monta en elle, brutale. Dans quelques heures, elle serait à la maison. Mais sans lui, sans sa présence, que restait-il ? Des murs, des objets et quoi d’autre ? Elle allait devoir réévaluer ses certitudes.

“Qu’est-ce qui fait un pays ? avait-elle demandé à Frédéric, la veille de son départ.

— Je ne sais pas, avoua celui-ci, l’air perplexe. Les souvenirs, je suppose.”

Oui, les souvenirs… la qualité du ciel, le goût de l’eau, la couleur de la terre. Les visages. Les temps d’amour et les déceptions. C’était tout cela, un pays. Sensations irisées, accumulées au fil des jours.

 

Mais comment compter sur les souvenirs ? Le pays n’était plus le même. La guerre l’avait balafré, défiguré, blessé. Pour y vivre aujourd’hui, il fallait renier sa mémoire désuète et ses idées périmées.

Elle était partie depuis trop longtemps. Comment ne pas lui en vouloir ? Elle avait pensé qu’elle pourrait voyager librement par monts et par vaux jusqu’à l’heure du retour. Revenir ? Tout aurait été comme d’habitude, chaque chose à sa place. Elle n’aurait eu qu’à poser ses valises et à reprendre sa vie là où elle l’avait laissée. Accueillie à bras ouverts, elle serait riche de ses voyages.

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05/05/2010 188 pages 18,00 €
Scannez le code barre 9782742791279
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