#Essais

Ma vie en chute libre. Mémoires supersoniques

Felix Baumgartner

Que peut-on ressentir lorsque l'on s'élance de la stratosphère à 39 kilomètres au-dessus du sol, pour plonger vers la Terre à la vitesse du son ? Aujourd'hui, un seul homme au monde peut répondre à cette question : Felix Baumgartner. Le 14 octobre 2012, cet Autrichien subjuguait le monde entier avec son saut supersonique. Dans Ma vie en chute libre, son livre de témoignage, Felix Baumgartner dévoile tout sur la réalisation de la fameuse mission Red Bull Stratos. Il revient sur les mille et un tracas, les grandes joies et les peurs intenses qu'il a dû affronter pour relever ce défi où, une fois de plus, il jouait sa vie. Ce sportif de l'extrême devenu champion du monde de base jumping revient sur son parcours et nous entraîne dans les coulisses des nombreux exploits qu'il a réalisés avant ce saut ultime.

Par Felix Baumgartner
Chez Flammarion

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Editeur

Flammarion

Genre

Sports

Au trente-sixième dessous : prélude au grand saut

 

 

 

Il est trois heures et demie du matin, et tout est clair : je vais quitter mon appartement de Santa Monica, filer à l’aéroport pour retourner à la maison. J’achète un billet et je rentre à Salzbourg. Après des semaines de stress et d’insomnies, c’est décidé : je n’irai pas demain à Brooks, dans le Texas. Je n’irai pas là où l’on teste les vaisseaux spatiaux, où l’on entraîne les astronautes. Je n’aurai pas le courage de supporter cette satanée combinaison pendant cinq heures, pour prouver aux experts de l’US Air Force que je suis au point. Je le sais bien, moi, que je ne suis pas au point.

J’ai repoussé cette décision depuis bien trop longtemps. Il n’y a plus qu’une seule solution : fuir, quitter ces lieux, quitter cette combinaison et laisser tomber l’équipe. J’aurais dû avouer ma peur depuis le début de l’entraînement. Tous ces gars qui se sont échinés pendant des mois sur ce projet, qui ont travaillé nuit et jour parce qu’ils croyaient en Felix Baumgartner – aujourd’hui, je vais les abandonner.

C’est la première fois de ma vie que je craque. Jusqu’ici, j’ai toujours lutté contre mes démons, j’ai toujours assuré et tenu mes engagements. Chaque fois qu’il y avait un souci, j’avais l’habitude de chercher la meilleure solution possible. Mais là, j’ai été faible : je n’ai pas essayé de régler mes problèmes, dans l’espoir que les choses s’arrangeraient toutes seules. Maintenant arrive ce qui devait arriver : je dois payer l’addition et elle est salée. Je ne suis pas prêt et je dois laisser tomber.

 

J’ai commencé le parachutisme il y a vingt-cinq ans ; j’ai tout de suite adoré le sentiment incomparable de liberté qu’on éprouve devant le vide, au moment de sauter. À chaque fois que j’ai sauté, c’était en jeans et en T-shirt, éventuellement avec un casque. Mais maintenant ? Il faut endosser cette combinaison qui m’engonce, plus un parachute trois fois plus volumineux qu’un parachute normal, plus deux pesantes bouteilles d’oxygène, plus tout le matériel d’enregistrement sur la poitrine : je vais être deux fois plus lourd que d’habitude. Plus question de liberté ! Il me faut tout réapprendre depuis le début : c’est exténuant de sauter dans ces conditions, il n’y a plus aucun plaisir et tout vous bloque. Je suis redevenu un débutant, sans expérience ni confiance en moi – mais il faut sauter pour la gloire.

Dès le départ, j’ai maîtrisé la technique de la capsule. Manœuvre des boutons, connaissance de l’habitacle, procédures d’urgence : je me suis très vite familiarisé avec et j’ai tout appris sans faute, en un temps record. Tous m’ont félicité pour ma rapidité d’apprentissage, ma capacité à sérier les questions, à ne pas me perdre parmi toutes ces tâches. C’est ma qualité fondamentale : toujours réagir rapidement et de la meilleure façon possible. J’ai été formé de cette manière. Mais cette combinaison… ! La confiance que j’ai toujours eue en moi, une fois préparé correctement, j’aurais pu la retrouver même en présence des gens de la NASA – si seulement il n’y avait pas eu cette fichue combinaison. Le projet Red Bull Stratos est en route depuis maintenant trois ans. J’ai senti dès les premiers essais qu’il y aurait toujours un problème avec la combinaison pressurisée. Sans elle, j’aurais pu jouir pleinement de cette aventure. La partie dangereuse, la partie technique : tout cela aurait été très beau à vivre. Mais au lieu de la joie de réussir d’abord un saut d’entraînement à 10 000 mètres d’altitude, j’ai pensé d’emblée que je ne pourrais pas supporter cette tenue ! C’était comme une épreuve supplémentaire et redoutable, devant laquelle on panique. Je suis devenu follement sensible, réagissant à des broutilles qui ne me posaient d’habitude aucun problème. Par exemple, la lumière de la pièce dans laquelle Mike Todd, le technicien, m’a toujours préparé, m’était désormais insupportable. Auparavant, je n’avais rien dit sur la lumière, je n’y pensais même pas. Et puis cette odeur ! Le casque est doublé d’un capitonnage intérieur en caoutchouc qui bloque complètement le visage, et son odeur de caoutchouc a commencé à me déranger de façon démesurée. J’ai dû m’habituer à ce détail insupportable – aussi insupportable que les voix. Heureusement, Mike a une voix très calme, très tranquille, très agréable. Mais il y avait d’autres personnes qui entraient dans la pièce et dont les voix m’énervaient. Les charges négatives de tous ces éléments liés aux essais avec la combinaison se sont accumulées. Il était clair qu’à un moment ou à un autre, je craquerais. J’étais prisonnier de cette combinaison, prisonnier parce que j’étais – ou devais être – le héros de ce projet.

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trad. Denis-Armand Canal
09/10/2013 221 pages 19,90 €
Scannez le code barre 9782081307100
9782081307100
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