« Premier principe : ne jamais se laisser abattre ni par les personnes, ni par les événements. »
MARIE CURIE
« J’ai souvent eu le sentiment que les liens de Marie Curie avec la vie étaient plus profonds et plus sérieux que les miens. »
ALBERT EINSTEIN
Il y a quelques mois, chez un bouquiniste, je suis tombée sur un curieux ouvrage. Il comptait à peine cent pages. On l’avait soigneusement relié de percaline gris-bleu.
Je l’ai ouvert. Une vignette était collée au verso de sa couverture. Elle a aussitôt attiré mon attention : elle figurait le diable.
Ou, plus exactement, une sorte d’hybride entre le démon et un vieillard lubrique. Pieds griffus, nez crochu, oreilles démesurément allongées, rictus salace, yeux globuleux que le vice faisait jaillir de leurs orbites. La libidineuse créature brandissait deux initiales entrecroisées, GM. Leur graphisme élégant s’accordait mal avec l’obscénité de la représentation du vieillard et suggérait que la vignette avait été réalisée dans les années 1900.
À l’évidence, cette vignette – un ex-libris – avait été confectionnée à la demande d’un amateur de livres qui avait aménagé dans sa bibliothèque ce qu’on appelait à l’époque un « second rayon » : une collection de textes libertins qu’on dissimulait derrière des cloisons secrètes ou sur des étagères haut perchées. Avant de s’y plonger, on verrouillait sa porte. On s’en délectait d’autant plus que c’était un plaisir interdit. Et pour certains, honteux.
J’ai ouvert le livret bleu. Recueil de poèmes graveleux, roman érotique, récit pornographique ? Non, rien que deux numéros d’un hebdomadaire petit format reliés en l’état, qui s’apparentaient davantage à des libelles qu’à des journaux. Leur papier, de mauvaise qualité, avait beaucoup jauni. Leur couverture rougeminium, en revanche, n’avait rien perdu de sa couleur criarde, vraisemblablement destinée à attirer l’attention des passants lorsqu’ils croisaient un kiosque.
Les numéros se suivaient. Ils étaient respectivement datés du 23 et du 30 novembre 1911. Un gros titre barrait la couverture du premier fascicule : « POUR UNE MÈRE ».
Je suis revenue au début du livret et je l’ai hâtivement feuilleté. Ma surprise a redoublé. La quasi-totalité des fascicules était consacrée à des attaques d’une violence inouïe contre la personne de Marie Curie, la brillantissime chercheuse qui, douze ans plus tôt, avec son non moins génial époux Pierre Curie, avait découvert deux nouveaux éléments chimiques, le polonium et le radium. Le couple avait ensuite étudié leurs effets, que Marie avait baptisés « radioactivité ». En 1903, un prix Nobel de physique avait consacré cette extraordinaire découverte.
Pierre avait insisté pour que Marie puisse partager avec lui la prestigieuse distinction ; l’Académie suédoise n’avait d’abord vu en elle que la fidèle assistante de son époux. Elle devint ainsi la première femme à recevoir un Nobel.
Extraits
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