#Roman francophone

Marimé

Anne Wiazemsky

Marimé, c'est une demeure familiale en Bretagne, tout au bord de la mer. Malgré son passé, malgré tant de jours heureux - ou de secrets drames familiaux -, la famille Chevalier s'en désintéresse. Seule Catherine ressent comme une intolérable blessure les menaces d'abandon de la vieille propriété de sa jeunesse. Catherine, photographe, se retrouve à Marimé avec son amie Annie, plus jeune, comédienne, "goinfre les choses". A l'improviste, Florence viendra les rejoindre; Florence la lumineuse, la rassurante, la bien-mariée, l'heureuse mère. A peine est-elle là, d'ailleurs, que les menaces s'éloignent, que Marimé semble revivre. Et l'arrière-été, est si beau... C'est par des chemins rapides, inattendus et sournois que la mort, l'amour et la vie viendront choisir en quelques jours, parmi ces trois femmes, leurs proies. Laquelle sera sauvée, laquelle se perdra? Trois destins de femmes d'aujourd'hui, si proches, si dissemblables. Après la grâce adolescente, le charme et l'humour très personnels qui faisaient l'attrait de Mon beau navire, Anne Wiazenisky fait preuve ici d'une nouvelle maîtrise de l'art du roman. Anne Wiazeinsky s'est fait connaître comme comédienne dès sa dix-septième année, tournant avec Bresson, Pasolini, Jean-Luc Godard, Illarco Ferreri, Philippe Garrel des rôles aussi importants que ceux de La Chinoise ou de la jeune fille de Théorème, avant d'aborder le théâtre (Fassbinder, Aovarina) et la télévision. Elle a publié des nouvelles, Des filles bien élevées (Grand Prix de la nouvelle de la Société des gens de lettres, 1988), et au roman, Mon beau navire (1989).

Par Anne Wiazemsky
Chez Editions Gallimard

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Genre

Littérature française

 

 

 

Les murs n'avaient pas été repeints depuis longtemps. Peut-être étaient-ils gris, beige foncé ou vert clair ? Comment savoir avec cette lumière électrique ? Pourtant, en définir la couleur devenait tout à coup important. Mais pouvait-on seulement parler de couleur ?

– Votre nom ?

Elle paraissait ne pas avoir entendu et il répéta sa question. Avec ce même air morne, cette même façon de ne pas la regarder en face. A croire qu'elle n'avait guère plus de couleur, guère plus de relief, que les murs qui les entouraient.

– Catherine Chevalier.

– Mon collègue ne va pas tarder à prendre votre déposition.

Puis sur un autre ton, plus alerte, plus amical :

– Moi, j'ai fini ma journée. C'est la relève.

A peine avait-il prononcé ces mots qu'une sorte d'agitation spontanée s'empara de tous les hommes présents dans la pièce. Des gendarmes quittaient leur bureau, d'autres arrivaient, encore en imperméable ou blouson de cuir. Mais la fatigue, le sentiment insupportable du malheur, écrasèrent de nouveau Catherine. Ses yeux se fermèrent, sa nuque se renversa sur le dossier de la chaise. Quelques phrases seulement l'atteignaient. Des phrases attendues, normales, si normales. « Heureusement qu'on a eu toute cette eau ! », « Pensez donc, un été entier sans pluie ! », « La terre est desséchée ». Des odeurs de nourriture chassaient maintenant les odeurs du dehors, ce mélange de terre et de macadam, d'herbe et d'iode. Des odeurs si distinctes qu'elles en devenaient écœurantes : café, saucisson, bière. Les nouveaux gendarmes s'installaient pour la nuit avec leurs sandwichs et leurs boissons. Il y eut encore quelques accolades, quelques plaisanteries, puis la porte, une dernière fois, se referma.

Catherine ouvrit les yeux. Sur le mur en face, au milieu des photos des gendarmes « morts en service », une horloge indiquait minuit dix.

Un gendarme, une canette de bière à la main, reprenait l'audition d'un couple, à un mètre à peine de Catherine. Quelle importance, ces gens ? Pourtant elle tendit l'oreille. Comme si se distraire quelques secondes était sa seule chance de survie. S'accrocher à ces mots qui pour elle sonnaient si bizarrement. Se concentrer sur eux. Oublier le reste. Un couple en vacances en Bretagne à qui on venait de voler tous les bagages. Seul l'homme parlait. Il s'exprimait clairement, sans bafouiller ni hésiter. Mais on le sentait indigné. C'était un Noir d'environ vingt-cinq ans, très grand, en jean des pieds à la tête. Sa compagne était blanche et semblait à peine sortie de l'enfance.

– D'où êtes-vous originaire ? demandait le gendarme.

– De Bouillon, dans les Ardennes.

« Etre originaire de Bouillon, dans les Ardennes, et avoir la peau aussi noire, incroyable ! » pensa Catherine. Elle se demandait si le gendarme partageait son étonnement. Mais non. Il posait de nouvelles questions, sérieux, attentif juste ce qu'il fallait, achevant de boire sa bière.

Mais un autre gendarme s'asseyait en face d'elle. De nouveau il lui fallut se nommer.

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29/08/1991 286 pages 14,70 €
Scannez le code barre 9782070724024
9782070724024
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