#Roman étranger

Mason & Dixon

Thomas Pynchon

1786, à Philadelphie. En visite chez sa sœur, le Révérend Cherrycoke entreprend de raconter à ses neveux les aventures de deux astronomes anglais, Charles Mason et Jeremiah Dixon qui, vingt-cinq ans plus tôt, avaient été chargés par la Royal Society d'observer, au Cap, le passage de vénus, avant de se retrouve r embarqués, à partir de 1763, dans une incroyable odyssée au cœur de l'Amérique du Nord, où ils ont pour mission de tracer d'est en ouest une ligne absolument rectiligne de huit mètres de large, qui devra séparer le Maryland et la Pennsylvanie, et ce à la demande de Lord Baltimore et de Thomas Penn, les héritiers respectifs de ces deux provinces. Les deux compères - le mélancolique Mason etle sanguin Dixon, le veuf inconsolable et le coureur de jupons - ne savent pas, bien sûr, que cette ligne portera un jour leurs noms et symbolisera plus tard la funeste frontière entre les États de l'Union et le Sud pro-esclavagiste. Épiés par des conspirateurs de tous bords, surveillés par les indiens ou traqués par l'énigmatique jésuite Zarpazo - le " loup de jésus " ! -, Mason et Dixon vont fréquenter aussi bien George Washington, Benjamin Franklin et Samuel Johnson qu'un homme-castor, un Chinois féru de feng shui, un canard mécanique amoureux d'un cuisinier français, un golem des bois et quelques bizarres croisés... Thomas Pynchon signe là une véritable épopée drôlatique, tourmentée et prodigieusement inventive, truffée de majuscules en hommage à la littérature anglaise du XVIII siècle et baignée par cette étrange brume érotique qui envahit le ciel quand Vénus l'éclaire de sa lueur. Mason & Dixon a été salué à sa sortie comme l'un des sommets du roman contemporain.

Par Thomas Pynchon
Chez Seuil

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Editeur

Seuil

Genre

Littérature étrangère

Les Boules de neige ont tracé leur Arc, étoilé les flancs des dépendances, comme ceux des cousins, emporté les couvre-chefs dans la Brise qui souffle de la Delaware, – on rentre les luges, leurs patins sont soigneusement essuyés et graissés, on dépose les souliers au fond du Vestibule, s’ensuit une descente en chaussettes sur la vaste Cuisine, à dessein en grand branle depuis le matin, ponctuée par le tintement des couvercles des diverses casseroles et marmites d’où montent des Odeurs d’épices, de fruits pelés, de graisse de rognon, de sucre chauffé, – les enfants, ayant tous prestement, au Rythme enlevé de la cuiller dans la pâte, soutiré et dérobé à force de cajoleries ce qu’ils pouvaient, se réfugient, comme chaque après-midi de cet Avent neigeux, dans une pièce confortable sise à l’arrière de la Maison et livrée depuis des années à leurs insouciants Assauts. Ici, l’on a entreposé une longue table de menuisier tout éraillée, flanquée de deux bancs désassortis, appartenant à la branche familiale du Comté de Lancaster, – du mobilier Chippendale de médiocre ouvrage, comprenant une façon du célèbre Sopha chinois, avec un haut dais à l’abondante étoffe pourpre facile à déployer afin d’aménager une tente douillette et pénombreuse, – quelques chaises dépareillées expédiées d’Angleterre avant la Guerre, – la plupart en pin et merisier, fort peu en acajou, hormis une sinistre et merveilleuse table de jeu qui offre cette médiocre fibre en forme de vagues que les ébénistes nomment Cœur Errant, et qui est la cause d’une Illusion de profondeur que les enfants ont contemplée pendant des années comme s’il s’agissait des pages illustrées d’un Livre… ainsi que d’innombrables charnières, mortaises à coulisse, loquets cachés, et compartiments secrets que ni les jumeaux ni leur Sœur ne sauraient prétendre avoir tous explorés. Au mur, relégué dans ce repaire de sapajous, parce qu’évoquant une époque qu’il est préférable d’oublier, et reflétant la quasi-totalité de la pièce, – le tapis et les tentures légèrement effilochées, le chat Moustache aux aguets sous les meubles, ses yeux joliment pensifs à l’affût de tout ce qui se pourrait manger, – est suspendu un Miroir dans un cadre gravé, commémorant la « Mischianza », ce mémorable Bal d’adieu donné en 77 par les Britanniques qui avaient occupé Philadelphie, peu de temps avant leur Retrait.

En cette année 1786 finissante, alors que la Paix a été conclue et que le Pays n’a de cesse de se quereller et de se démembrer, les blessures, soit du Corps, soit de l’Esprit, grandes comme petites, sont encore sensibles, point toutes solennisées, et même trop peu relatées. La neige recouvre tout Philadelphie, d’un fleuve à l’autre, et les berges distantes ont à ce point disparu derrière des rideaux de brume glacée que la Ville semble à cette heure une île au milieu de l’Océan. Étangs et rivières ont gelé, et les arbres scintillent jusqu’au plus petit rameau, – des nervures de Lumière concentrée. Marteaux et scies se sont tus, les briques forment des monticules sous la neige, les moineaux de la ville, en gerbes mouchetées, quittent ou retrouvent leurs Abris de fortune, – le Ciel crépusculaire, ses nuages façonnés par le vent en crayeuses traînées, s’étend au-dessus des Northern Liberties, de Spring Garden et de Germantown, la Lune montante aussi pâle que les congères, – de la fumée sort des cheminées, on laisse les traîneaux pour rentrer chez soi, les tavernes s’animent, – le café fraîchement passé coule à flots, porté de pièce en pièce d’un bout à l’autre de la Maison, tandis que le madère, qui a toujours copieusement arrosé les réunions dans ces Régions, est aujourd’hui ajouté, tel un antique Élixir, à la bouillante marmite de la Politique, – car, en cet Avent, l’Avenir est aussi impossible à déterminer que la Distance qui nous sépare d’un Astre.

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04/01/2001 766 pages 27,90 €
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9782020327923
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