Mémoires du Grand Automne - 1 - Le déni du Maître-sève

Stéphane Arnier

Dans l'Arbre-Mère d'Alkü, c'est l'effervescence. La saison des naissances est sur le point de commencer, et cette cueillette s'annonce exceptionnelle : dans son bourgeon, l'un des bébés à naître semble disposer d'un pouvoir hors du commun ! Le Maître-sève Nikodemus Saule ne le sait pas encore, mais cet évènement va marquer le début du Grand Automne... -- Avec cette réflexion sur le cycle de la vie, et un univers de fantasy poétique et mature, Stéphane Arnier signe là un premier roman éloigné des ambiances guerrières propres au genre. Il a remporté pour ce livre le Premier Prix du concours " Osez la publication ! " organisé par Librinova et DraftQuest en Juillet 2015.

Par Stéphane Arnier
Chez Bookelis

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Editeur

Bookelis

Genre

Science-fiction

De ses doigts experts, Nikodemus tâta les écailles du bulbe. Le bourgeon avait la taille d’un énorme chou, et sa membrane externe était dure comme l’écorce, distendue à rompre. Pas de doute quant au diagnostic : le maître-sève faisait face à un sévère cas de gonflement sévique.

Le sèvetier à ses côtés semblait inquiet, et avait raison de l’être : on était encore à plus de dix jours de la Cueillette ; si on ne faisait rien, l’enfant serait perdu.

— J’ai besoin d’un seau et d’une rigole. D’un peu plus de lumière, aussi.

Son ordre donné, Nikodemus retira la sacoche de son dos et en sortit ses instruments. En trois pas, le sèvetier rallia le nœud du bois marquant l’entrée de la cavité. D’un mouvement de main, il venta vers la paroi. L’air ainsi manipulé en caressa les points sensibles, l’écorce se rétracta en corolle, et le soleil inonda la chambre féconde.

La main sûre, de la pointe aiguisée de sa serpe, Nikodemus traça un fin sillon sur l’écaille. Avec mille précautions, sa chignole perça ensuite la partie supérieure du bourgeon. Quand il atteignit la poche interne, il y eut un poc qui fit sursauter le sèvetier. Le maître-sève retira aussitôt l’instrument, et le trop-plein d’eau de vie coula de l’orifice, guidé par la saignée pratiquée plus tôt. La rigole récolta le filet visqueux et l’évacua dans le seau afin qu’il ne contamine pas le bassin en dessous. La pression à l’intérieur du bulbe diminua.

Il sourit, et le sèvetier se détendit.

— Vous voir œuvrer est toujours aussi impressionnant, Maître Saule. Vous semblez si calme !

Nikodemus le gratifia d’un clin d’œil.

— J’ai un truc, Sèvetier Lys : il suffit de se dire que l’enfant ne peut pas mourir. L’Arbre-Mère ne le permettrait pas.

 

Nikodemus sortit de la chambre féconde en plissant les paupières sous l’intensité lumineuse. Sans non plus s’asseoir — pourquoi ne pas faire la sieste, pendant qu’on y était ? —, il s’accorda une pause et appuya son imposante charpente sur la rambarde de la Grande Ceinture. La sueur glissait des rides de ses tempes jusque dans sa barbe, mais la chaleur de cette fin d’été le rendait pourtant enthousiaste : la Cueillette approchait. 

Un vent lui flatta l’épaule, comme une tape amicale, et il se retourna pour accueillir Aulis, posant sa main sur sa poitrine, doigts écartés. Son subalterne s’avança en lui rendant son signe de l’Arbre, mais pas son sourire : fidèle à lui-même, le Cueilleur Aulis Terre ne venait pas ici admirer la vue, mais bien parler travail. 

Comme toujours. 

Le brave garçon lui fendait l’âme. Depuis le récent décès de sa femme, Aulis était plus rigide et torturé qu’un tronc mort. Au quotidien, il continuait de s’affairer, mais désormais il était dur avec ses hommes autant qu’avec lui-même, trouvant dans son métier un exutoire. Et dire qu’il allait bientôt être père...

— Maître Saule, pardonnez que je vous dérange. 

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03/09/2015 484 pages 18,00 €
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