« Et le Christ ? dit ma mère. C’est lui qui nous a sauvés de la pourriture.
– Il est mort pour rien, dis-je, son sacrifice n’a servi à rien. Les bons peuvent être sauvés. Pour les méchants, rien à faire. Et les hommes sont méchants. »
Malaparte1
In Il y a quelque chose de pourri, traduction d’Elsa Bonan, Denoël, 1959. (Toutes les notes sont de la traductrice).
Florence, octobre 1966
Encore à moitié endormi, il tendit la main à la recherche du corps chaud d’Elvira puis, au contact du lin rêche, se rappela qu’elle était partie. Il s’allongea sur le dos et se mit à scruter l’obscurité. Une autre femme était entrée dans sa vie et en était sortie à toute allure, tel un projectile qui transperce la chair. Sa femme idéale naîtrait peut-être dans cent ans ou était déjà née, avait déjà vécu et était déjà morte. En tous les cas, il ne la rencontrerait pas.
Chaque fois qu’il retournait à sa solitude, un nouveau monde se présentait à lui. Cela équivalait un peu à renaître, et un sentiment de liberté se répandait sous son mal-être…
Quelle heure pouvait-il bien être ? Pas la moindre lueur ne filtrait à travers les volets. Il était épuisé. Les chances de retrouver le petit Giacomo vivant s’amenuisaient de plus en plus. L’enfant s’était évanoui dans le néant cinq jours plus tôt. Tout juste treize ans, cheveux châtains, yeux marron, un mètre quarante-sept. Un gosse tranquille, appliqué, obéissant. Et s’il s’agissait d’une fugue ? À treize ans, ce genre de couillonnades est normal…
Il aurait donné n’importe quoi pour qu’il en fût ainsi, mais il ne croyait pas une seconde à cette hypothèse. Il en parlait souvent avec Piras, son jeune bras droit, pessimiste comme lui. Ils n’avaient pas progressé d’un iota, sans le moindre début d’indice…
La sonnerie retentit. Il sursauta et se souvint : il avait promis à son ami Botta, ancien détenu, de l’accompagner à la cueillette des champignons sur les collines, au-dessus de Poggio alla Croce. C’était le bon moment, avait affirmé Botta. Après de nombreuses journées de pluie, le soleil brillait enfin et la température avait grimpé. Le lundi, de surcroît, les chasseurs étaient rares et il n’y avait pas de familles en promenade. Bordelli n’avait pas une passion particulière pour les champignons ; incapable de les reconnaître, il n’en avait jamais cueilli. Mais une promenade dans les bois lui serait bénéfique. Penser à ce gamin le minait.
Il roula à bas de son lit et gagna la fenêtre. L’air était frais et le ciel encore noir. Non sans mal, il distingua une ombre sur le trottoir.
« Ennio, c’est toi ? lança-t-il d’une voix étouffée.
– Non, c’est le Père Noël…
– Monte. On va boire un café. » Il referma la fenêtre sans faire trop de bruit et alla ouvrir la porte, pieds nus. Il enfila rapidement un pantalon et se lava le visage à l’eau froide pour achever de se réveiller.
Le voyant en marcel, Botta écarta les bras. « Commissaire, ne me dites pas que vous dormiez… Il est déjà 5 h 30…
Extraits
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