#Roman étranger

N'essuie jamais de larmes sans gants

Jonas Gardell

Rasmus quitte enfin la Suède profonde pour Stockholm où il va pouvoir être lui-même et ne plus se faire traiter de pédé mais l'être vraiment. Benjamin vit dans les préceptes et le prosélytisme inculqué par ses parents. Sa conviction vacille le jour où Paul, qu'il est venu démarcher, l'accueille avec simplicité et bienveillance, et lui lance "Tu le sais, au moins, que tu es homosexuel ?" Rasmus et Benjamin vont s'aimer, et l'un d'eux va mourir, comme tant d'autres. Ils étaient pleins de vie, une bande d'amis qui s'étaient choisis comme famille. Ils commençaient à être libres lorsque les premiers malades séropositifs au VIH furent condamnés à l'isolement. Pour la première fois en France, LE roman suédois sur les années sida, une épidémie mortelle inconnue, face à la quelle toutes les politiques sociales ou sanitaires échouèrent.

Par Jonas Gardell
Chez Gaïa

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Editeur

Gaïa

Genre

Littérature étrangère

1

L'Amour

 

Cette journée d’août s’en est allée sans un nuage dans le ciel, mais à travers les fenêtres condamnées du service d’isolement l’été ne pénètre pas.

L’homme dans le lit est terriblement amaigri et marqué par un sarcome de Kaposi au stade avancé. Il n’a plus que quelques jours à vivre.

Habituellement, ce syndrome ne touche que les hommes âgés issus du pourtour méditerranéen et progresse avec une telle lenteur que les malades finissent par mourir d’autres complications. Or, depuis un certain temps, une multitude de cas ont été rapportés, surtout aux États-Unis, où cette forme de cancer s’est montrée beaucoup plus agressive.

Les bras, la tête et le cou de l’homme dans le lit sont couverts de ces grandes taches violacées caractéristiques de la maladie.

Il a d’abominables escarres aux fesses et au sacrum. On a entouré les plaies de mousse pour protéger la peau afin qu’elle ne frotte pas directement au drap et au matelas, mais ce n’est pas d’un grand secours.

Son corps est si mince, presque transparent. Décharné par les diarrhées persistantes. L’homme s’est vidé, expulsant jusqu’à ses organes.

Il est seul. Il n’a jamais de visites.

Depuis quelque temps il a presque cessé de parler. Il reste alité, apathique, mutique. Il lutte.

Parfois il pleure. De douleur ou de chagrin, personne ne le sait.

Deux femmes accomplissent leurs tâches en silence dans la chambre dépouillée dont les fenêtres ne sont jamais ouvertes, dont la seule sortie est constituée d’un sas ouvrant directement sur la cour. Elles s’affairent autour du corps dans le lit comme des prêtresses officient autour d’un autel.

Le jeune homme dans le lit a le regard rivé au plafond. Il transpire, il pleure, mais il ne parle pas.

À son chevet se trouvent une infirmière d’un certain âge et une aide-soignante plus jeune. La plus vieille travaille à l’hôpital des maladies infectieuses de Roslagstull depuis de nombreuses années. La plus jeune vient d’y être affectée. Toutes les deux portent des gants en latex, un masque de protection, une charlotte et une blouse jaune. Ensemble, elles ont soigné et posé un pansement sur l’une des escarres de l’homme. Cela fait, l’aide-soignante a enlevé par inadvertance ses gants souillés, peut-être pour remettre en place un drap.

Elle se penche soudain sur le jeune homme dans le lit et, du dos de la main, essuie rapidement ses larmes. Elle le fait sans réfléchir, dans un geste spontané d’empathie et d’attendrissement.

L’infirmière écarquille un instant les yeux, de réprobation.

Le malade ferme les siens. Il pleure encore.

Leurs soins terminés, les deux femmes quittent la chambre sans un mot.

– Va te désinfecter les mains tout de suite !

Elles viennent juste de franchir le sas – chaque chambre est isolée par deux portes qui ne doivent jamais être ouvertes en même temps – et se tiennent dans la cour, devant le pavillon abritant les chambres où les patients sont contraints à l’isolement.

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trad. Jean-Baptiste Coursaud, Lena Grumbach
07/09/2016 588 pages 24,00 €
Scannez le code barre 9782847207163
9782847207163
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