#Roman francophone

Nouons-nous

Emmanuelle Pagano

"L'amour plus des copeaux de bois, du produit pour les vitres, une clochette, du shampoing, des oiseaux, des écharpes, des appareils photos, des ponts, des cordes, un vélo, des instruments de musique, une canne à pêche, des brosses à cheveux, des fusils de chasse, des livres, des gélules, du carton, des lampes, des agates, des élastiques, une malle, des fruits, des lentilles de contact, des échantillons, des bateaux, des pansements, de la peinture, des arbres, des agendas, un mouchoir en tissu, du liquide vaisselle, des box, du scotch, des ballons, du savon, des soldes, une mouillette, des connexions internet, des marées, des archives, des paquets cadeaux, une pince à épiler, du mica, des mains courantes, des trams, un faon, des maquettes, un vaporisateur d'eau, des cours de médecine, des montres, des coussins brodés, des plumes, des clés, un chat, du sel, des écorces, des poupées, une émeraude, des avions, un foulard, des fleurs, des manèges, des téléphones, des crayons de couleurs, des boîtes aux lettres, une fève, des tatouages, des télés, des cartes, des miroirs, un kit de couture, des mathématiques, des chaussures, des poissons, des valises, des jeux de société, un éboulis de pierre, des bouchons auriculaires, des carnets, des bocaux en verre, des calendriers, des pantins, une table de mixage, des grains de sable, du yoga, des poids en laiton, des éclairages automatiques, un aspirateur, des trains, des fagots, des éoliennes, des insectes, et une pelote de fil."

Par Emmanuelle Pagano
Chez P.O.L

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Editeur

P.O.L

Genre

Littérature française

Au réveil, j’entends des petites bêtes marcher sur un morceau de tissu invisible, tendu tout près de mon oreille, tendu entre lui et moi. Entre lui et moi, juste la place d’un tissu tendu comme du papier. J’ouvre les yeux, il fait presque jour, il gratte sa barbe naissante. Les bruits minuscules s’arrêtent lorsqu’il me sourit. Sa main quitte sa joue pour venir sur la mienne.

 

 

*

  

 

Il y a longtemps sans elle maintenant. Je commence à m’habituer à la solitude, à la petite tristesse de sept heures du soir.

 

 

 

*

 

 

Mes parents avaient un verger qui était leur grande fierté et qui prenait tout leur temps libre. Ils s’en occupaient tôt avant d’aller au travail, dès qu’ils en rentraient, et parfois même après le dîner. Nous en profitions pour nous fréquenter en cachette, dans ma chambre. Je pouvais voir le verger de ma fenêtre, je vérifiais l’avancée des travaux de jardinage de mes parents entre deux longs baisers. Les arbres étaient parfaitement alignés, presque rangés. Chaque arbre portait les fruits qui correspondaient à son nom, sans erreur possible, dans un ordre au cordeau, cerisiers, pommiers, abricotiers, puis devant eux, poiriers, figuiers et pruniers, et devant eux encore, tout près de ma fenêtre, les rangées des arbustes, soutenus par des tuteurs et des fils de fer. Les milliers de framboises, de myrtilles, de groseilles, parfumaient mes matins tardifs lorsque j’aérais ma chambre à la demande quotidienne et pressante de ma mère. Je me moquais de mes parents et de leur rigueur à toute épreuve, ils auraient bien été capables de faire leurs plantations par ordre alphabétique. Mais pendant que nous riions d’eux, à la faveur d’un câlin trop long, mon père nous a surpris, l’a chassé, m’a punie. Consignée dans ma chambre, en plein mois d’août, pensive à ma fenêtre, je rêvassais en regardant le verger. J’espérais qu’il viendrait me délivrer. Il est venu la nuit suivante. J’ai entendu des bruits de branches. Il faisait très chaud, cela m’avait donné un prétexte pour laisser la fenêtre ouverte. Je le voyais trafiquer dans les arbres torse nu. Il n’était pas seul. Il m’a fait signe de me recoucher en m’envoyant un baiser, de loin. Déçue je me suis remise au lit. Aux premières lumières du matin, je me suis précipitée à la fenêtre. Mon père était déjà au verger, immobilisé devant la métamorphose de ses fruitiers. Aux pêchers il y avait des poires, aux poiriers des abricots, lesquels avaient été remplacés par des prunes, aux pruniers se balançaient des figues fraîches. Il avait travaillé à sa petite vengeance toute la nuit, avec l’aide de ses nombreux copains. Ils avaient cueilli tous les fruits et, chaque queue patiemment nouée à du fil de pêche, ils les avaient changés de place.

 

 

 

*

 

 

Elle me sort de l’ordinaire, par des gestes pourtant ordinaires, des gestes et des mots de tous les jours. Elle a une autre manière d’être là.

 

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03/10/2013 202 pages 16,00 €
Scannez le code barre 9782818019542
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