Chapitre 1
COMMENT JE SUIS DEVENU
L’ÉCRIVAIN QUE JE SUIS
FACE À CINQUANTE ANS DE VIE D’ÉCRIVAIN
J’ai soixante et onze ans. Au début de l’année dernière (2005), le jour de mon soixante-dixième anniversaire, j’ai eu le sentiment de passer un cap particulier dans ma vie. J’ai alors décidé d’entamer une réflexion sur cette dernière partie de ma vie à partir de cette frontière.
En réalité, cette idée ne m’obsède pas quotidiennement. Mais au bout d’un un, à soixante et onze ans, j’ai la sensation de changements aussi bien physiques que mentaux. En clair : je sens bien que je deviens un vieil homme. C’est pourquoi, ayant vécu un peu plus de soixante-dix ans et ayant écrit mon premier roman à vingt-deux ans, soit il y a un demi-siècle, je pense que c’est le bon moment pour regarder en arrière ma vie d’écrivain.
Dernière année au lycée de Matsuyama, 1952.
Je suis ravie de commencer ces entretiens. Je pense que c’est avec beaucoup de précautions que vous parlerez de ce que vous avez fait jusqu’à présent. Car je sais que toutes vos conférences, vous les écrivez préalablement, souvent plusieurs fois, que les entretiens, tables rondes et autres rencontres auxquels vous participez, quand ils sont publiés, vous tenez à les relire et à les corriger minutieusement. Connaissant la rigueur que vous avez toujours voulu maintenir dans l’expression orale qui diffère de l’écrit, je ne pouvais pas envisager de vous interroger à bâtons rompus. C’est pourquoi j’ai lu tous vos livres, et beaucoup à propos de votre biographie, avant de préparer mes questions, en espérant qu’elles mèneront aussi à des développements inattendus.
Je pense que je ferai moi aussi des découvertes inattendues. Mes romans et essais, une fois rédigés, j’en consolide le contenu et le style au fur et à mesure de corrections successives ; c’est ce que j’appelle mon « habitude de romancier ». A l’occasion de nos entretiens, je suis intéressé par le fait de laisser librement la parole à l’homme que je suis et qui a le sentiment de ne plus être rien d’autre qu’un romancier. Cela fera sans doute apparaître mes faiblesses, des parties de moi qui restent toujours immatures. Car le fait d’accompagner ces discussions par des images filmées, c’est-à-dire des éléments que je ne peux pas réécrire, fera peut-être apparaître un « moi » qu’il m’est impossible de consciemment maîtriser… Malgré tout, j’ai plus de soixante-dix ans, j’ai un certain entraînement à l’exercice des interviews, je pense donc être arrivé à un point où je peux exposer mon avis. J’espère donc pouvoir parler de ma vie avec l’assurance nécessaire pour avancer aussi vers une conclusion.
CE MONDE DES MOTS
DÉCOUVERT PENDANT L’ENFANCE
A l’université, dès le début de mes études de littérature française, j’ai appris que, dans la langue française, l’expression orale, la narration et l’argumentation écrite appartenaient à des registres de langue différents. A l’époque de ma naissance, au milieu des années 1930, Louis Ferdinand Céline commençait à écrire et j’ai appris que c’était lui qui avait introduit dans la littérature française un style d’écriture proche du langage oral. Un exemple célèbre est celui des trois points de suspension : il aurait ainsi créé une forme de phrase se poursuivant sans fin, une écriture proche du récit oral.
Extraits
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