Editeur
Genre
Littérature française
À celles qui ont peur de vieillir
À celles qui ont peur d’être trop vieilles
Aux intrépides qui n’ont pas peur d’avoir peur
Ne riez pas de l’autobus : il n’est pas de lieu
d’élection pour le coup de foudre…
L’imprévu demeure la seule puissance
capable de rendre de la chaleur à la vie.
Pascal Bruckner
Lunes de fiel
TITUS, JEUDI 3 DÉCEMBRE 2020
« Mon histoire à Zanzibar a commencé par un rêve, s’est déroulée comme un conte et se termine en cauchemar. »
Cette phrase, écrite à la main dans un cahier à demi calciné, est tout ce que l’on a retrouvé de Clara Davidson, dans les décombres de l’incendie qui a détruit sa maison.
Cette active septuagénaire, ressortissante française, veuve du couturier et créateur de la célèbre marque de prêt-à-porter La Ronde des fées, se rendait fréquemment à Zanzibar pour des actions humanitaires. Elle avait fini par s’installer définitivement dans l’archipel et depuis trois ans proposait des chambres d’hôtes très appréciées par une clientèle essentiellement féminine.
On m’informe à l’instant que l’hypothèse d’un acte malveillant vient d’être confirmée. Les premières investigations n’ont heureusement décelé aucune victime. Mais nous sommes sans nouvelles de Clara Davidson, à ce jour introuvable.
Le visage lisse du présentateur est remplacé par une image qui emplit l’écran. C’est un cahier convulsé, dont la couverture, qui a dû être bleu turquoise, est striée de traînées noirâtres. Image suivante. Le cahier est ouvert à la première page, intacte. La phrase citée en ouverture de ce fait divers s’étale un bref instant sur deux lignes clairement lisibles. Signes noirs sur fond blanc.
Et maintenant le reste de l’actualité…
Quelques secondes de suspense et une vie tout entière vient d’être compressée, jetée en pâture à des milliers d’oreilles distraites, puis abandonnée pour laisser place à l’information suivante.
C’est le journal télévisé du 20 heures.
Qui peut bien se soucier de Clara Davidson ?
CLIC. TITUS VIENT D’APPUYER sur le déclencheur. Il fait ce geste mille fois par jour depuis qu’il a, par un heureux hasard, découvert son style photographique. Il préfère dire inventé. Il n’a jusque-là partagé avec quiconque sa trouvaille, qu’il nomme pick bits, raccourci anglicisant et approximatif de voleur de fragments. Chaque prise est le produit d’une impulsion autoritaire qui coordonne ses yeux et son geste pour capter la scène qu’il ne peut pas manquer. Photographier un écran de télévision est pour lui une première, mais il a fini par acquérir, sans trop savoir comment, des réflexes de professionnel.
Vingt-quatre images pour faire une seconde de film, appareil réglé au quinzième de seconde. Planté devant l’écran, Titus mitraille. Il tient cet objet à bout de bras, comme un trophée arraché à la concurrence de l’information. Un scoop. Un fragment de vie, un fragment de femme. Les clics se succèdent tandis que le cliquetis des cuillers dans les assiettes s’impatiente.
Extraits
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