AVANT-PROPOS
Juan Valera y Alcalá Galdiano (Cabra, près de Cordoue, 18 octobre 1824 – Madrid, 18 avril 1905) compte parmi les prosateurs les plus distingués du XIXe siècle en Espagne.
Après des études de droit à l’université de Grenade et à Madrid, le jeune aristocrate, oisif et velléitaire, entre dans la carrière diplomatique à vingt-deux ans en suivant un ami de la famille, l’illustre Angel de Saavedra, duc de Rivas, ambassadeur d’Espagne, à Naples. Au contact de ce grand homme, cordouan comme lui, poète, dramaturge romantique, auteur de Don Alvaro ou la force du destin, peintre sensible, esprit vaste et raffiné attaché aux grandeurs avec humour et aux arts avec passion, Juan Valera trouvera de quoi donner à sa vie la double impulsion qui fera de lui un personnage marquant dans l’histoire collective : le service politique par la voie diplomatique, et la culture incessante du goût.
Ses devoirs professionnels l’enverront vivre notamment en Italie, au Portugal, au Brésil, en Russie, en France, en Belgique. Observateur dévoué des réalités humaines, critique attendri des vices et admirateur attentif du beau sous toutes les latitudes, Juan Valera deviendra, comme il le dit d’un de ses meilleurs personnages, le Commandeur Mendoza, « un homme beaucoup trop sérieux pour ne pas prendre tout à la légère ». À l’instar de Candide qui, après avoir visité le monde, comprend qu’il faut rentrer chez soi et cultiver son jardin, Juan Valera n’occupera pas sa plume à balayer les continents qu’il a parcourus, mais consacrera l’essentiel de son talent romanesque à montrer les vices et les vertus de l’humanité ramenés au cadre attendrissant de la province et à l’inconséquence d’une bourgade andalouse.
Écrivain infatigable, précoce et érudit, Valera a produit une multitude d’œuvres littéraires, d’articles critiques et journalistiques, participant à l’agitation artistique et politique de son temps à travers les revues, les journaux et les cénacles madrilènes. Il n’a pas quarante ans quand il est élu à l’Académie. Toute sa vie durant, il tiendra une correspondance qui remplit aujourd’hui une monumentale série de volumes. On lui doit aussi diverses traductions, notamment, du grec ancien, une remarquable version de l’œuvre du présumé Longus, Daphnis et Chloé.
Son premier roman, Pepita Jiménez, publié en 1874, et qui est un coup de maître, n’est donc pas le fait d’un débutant. Accueilli très chaleureusement, il acquerra rapidement et durablement le statut de classique de la littérature espagnole. Par la composition et par les thèmes, on trouve là directement l’essentiel de l’art de Valera. D’une part, l’ironie du roman par lettres, le jeu des perspectives et des points de vue ; d’autre part, la thématique amoureuse, la priorité des sentiments, l’ennui des conventions sociales, la force souveraine de la jeunesse et l’idéal horacien du bonheur. Il faut noter que l’érudition amusante dont ce roman semble rempli n’est pas forcément une constante chez Valera. Et s’il s’agit peut-être d’un trait d’époque, il faut y voir surtout l’ambition et l’humour d’un écrivain espagnol désireux de faire de son personnage un être imbibé de littérature dévote et mystique comme don Quichotte put l’être de littérature chevaleresque. Non seulement cela permet à Valera, lecteur de Voltaire, de se glisser sous la protection bienveillante de Cervantès au moment de se moquer de cette mentalité religieuse emphatique et de ce cléricalisme catégorique, qui a toujours peu ou prou caractérisé l’Espagne ; mais c’est aussi une manière d’inscrire son œuvre dans la plus formidable des veines de la tradition nationale. Faire de son personnage un héritier du Quichotte, c’est espérer qu’on considère l’auteur comme un descendant de Cervantès. Cette ambition d’appartenir à sa lignée est aujourd’hui encore, chez tous les auteurs espagnols, les meilleurs comme les pires, une obsession remarquable.
Extraits
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